vendredi 1 mars 2013

La tragédie

Les Japonais ont coutume d'offrir des souvenirs à leurs proches et collègues, sous forme de produits du terroir. Les produits périssables prévalent, l'éphémère étant un élément primordial de l'esthétique japonaise, d'où la fascination pour les cerisiers en fleurs à la splendeur passagère.

Les gares, aéroports et autres lieux de transit abritent ainsi presque toujours des boutiques de produits régionaux, sakés pour les messieurs, sucreries pour les dames.

Infusant depuis plus de deux ans dans cette culture, j'en suis venu à en adopter certains éléments, tout en en ignorant d'autres. Et si d'emblée le rituel d'achat de souvenirs, relevant presque de l'obligation sociale, ne m'attirait pas, j'ai fini par m'y mettre, en prenant soin de limiter les bénéficiaires aux Japonais avec lesquels j'entretiens d'étroites relations.

En revenant du Canada, en septembre dernier, j'avais donc offert du sirop d'érable, idéal car délicieux, polyvalent et bien de chez moi, en petites bouteilles, toutes bien reçues.

Lors de mon récent périple à Hokkaidō, je souhaitais en remettre, si possible avec autre chose que des confiseries et des boissons alcoolisées. J'ai finalement trouvé souvenir à mon goût, et ce, quelques heures avant mon vol de retour à Tokyo, en route vers l'onsen de Chitosé. S'est mise sur mon chemin une boutique de riz en vrac, issu d'exploitations familiales. 

Depuis peu, je m'étais mis à consommer du riz brun, bien plus nourrissant que le riz blanc, sa version raffinée. Ce commerce en proposait une bonne dizaine, récoltés par diverses familles d'Hokkaidō et d'ailleurs au Japon. Un produit à la fois sain et local, souvenir idéal. Mon sac de cabine avait ainsi été rempli jusqu'au point de déchirement de quatre sachets d'un kilo, chacun provenant d'une famille rizicole distincte.

J'en avais déjà donné deux, le premier à mon enseignante de longue date, le second au propriétaire de mon institut de japonais. Je comptais remettre le troisième à monsieur Oi, vendredi dernier après le cours de conversation française que nous enseignons en alternance, mais il était absent.

Hier matin la tragédie a frappé. Pressé d'aller au boulot, en prenant mes gants sur l'étagère j'ai fait tombé le sachet. Éventré au contact du sol, ses entrailles de riz se sont répandues sur le plancher. Destiné à servir de souvenir, ce riz finira plutôt dans mon estomac. 

Heureusement qu'il me reste un autre sachet, dont il faudra prendre soin, pour qu'il soit souvenir à autrui, plutôt que mauvais souvenir fendu.

Un repas in memoriam sera servi, composé de grains tombés au combat

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