mardi 10 décembre 2013

Visite

Un bon ami vient te visiter dans ton pays d'adoption. Tu es bien content de le voir, de pouvoir passer une semaine en sa compagnie, de lui servir d'interprète de la culture locale. Ensemble, vous visitez des lieux touristiques auxquels tu n'irais pas normalement, et tu apprécies cet interlude de la routine habituelle.

Mais l'espace de ton petit logis est limité, et vers la fin de ces quelques jours à se côtoyer constamment, tu commences à avoir hâte de revenir à tes moutons, d'être à nouveau maître chez toi. Tu te sens aisément irritable, et parfois tu en viens à souhaiter qu'il soit déjà parti.

Et puis, tout d'un coup, il n'y est plus. Déjà il te manque, et tu te sens bien seul chez toi. Tu as honte d'avoir ressenti ces petites pointes d'animosité. Tu sais bien qu'au fond tu as de la chance d'avoir un ami comme lui qui souhaite te voir de si loin. Tu te réjouis de l'avoir vu au final, et tu souhaites que d'autres emboîtent le pas, pour vivre les mêmes plaisirs qui dureront, au diable l'irritabilité passagère.

lundi 28 octobre 2013

Art de planche

En vidant mon balcon de ses détritus lâchement accumulés, je tombe sur une planche de bois contreplaqué, ou plutôt un panneau à copeaux orientés, en langage technique. Je ne me souviens plus exactement où je l'ai trouvée ni ce que je comptais en faire, mais la voilà qui attend que je décide de son sort.

C'est alors que je remarque les motifs intéressants de sa surface, formés par la juxtaposition des copeaux pressés les uns contre les autres. Je me rappelle alors que c'était ce qui m'avait poussé à garder cette planche, il y a plus d'un an, sans savoir que j'allais l'abandonner à son sort, exposée aux éléments du balcon.

Je décide dès lors de faire amende honorable, en commençant par tracer au marqueur le contour des dizaines de copeaux de diverses tailles. Me vient ensuite l'idée d'y coller des cartes menko datant de l'avant-guerre, semblables aux pogs qui ont fait fureur à l'automne de ma sixième année, et que je collectionne depuis quelques temps. Ces bouts de carton circulaires aux thèmes variés montrent notamment des samouraïs légendaires, des super-héros sans crainte, des monstres furieux de rage, des cowboys en plein duel, des soldats sous le feu ennemi, et d'autres personnages colorés.

Je me mets donc à peindre les couleurs principalement employées dans ces menko, soit le rouge, le jaune et le vert, en prenant soin d'éviter que des copeaux de couleur identique se chevauchent. Je me rends ensuite compte que quelques coupeaux de bonne taille ne peuvent être peints, étant cernés de toutes parts par les trois autres couleurs. L'emploi d'un quatrième mousquetaire, le bleu, est donc de mise. Je ressors mon pinceau et me mets à la tâche.

Me vient enfin la satisfaction de l'œuvre achevée. Ma chère planche, je suis sincèrement désolé de t'avoir négligée tout ce temps, mais tu conviendras que l'attente balconière en aura valu le pinceau!




dimanche 20 octobre 2013

Sodai gomi

Mon appartement est doté d'un balcon relativement large, relativement parce qu'en ce pays aux étés suffocants au point de tuer dans l'œuf à la coque toute idée de se prélasser à l'extérieur et d'en tirer du plaisir, le balcon moyen est souvent juste assez large pour y permettre l'installation d'un ventilateur de climatiseur, alors exit l'idée d'y poser une chaise.

Le mien est néanmoins en mesure d'accueillir une chaise ou deux, et entre elles, une petite table, et avant d'emménager en ces lieux je pensais bien y passer du temps. La vie oisive de balcon ne s'est pourtant jamais matérialisée. La largeur de chaise susmentionnée s'est toutefois révélée bien utile pour faire de mon balcon la décharge de meubles devenus inutiles, notamment, et ironiquement, d'un fauteuil de travail qui m'avait été donné par George, mon ancien coloc, posé dans le coin droit et laissé là, à se détériorer par exposition aux éléments. Puisque cet espace extérieur ne m'était utile que pour sécher mes vêtements, et que la présence de ce vieux fauteuil n'était importune que par son aspect inesthétique, il m'a fallu plus d'un an pour y faire le ménage.

En frais de meubles, comme dans plusieurs aspects de la vie au Japon, ne jette pas qui veut. Une procédure bien définie doit être suivie pour se départir de ces sodai gomi (粗大ごみ, déchets de grande taille). Après des recherches sur la manière de procéder, il m'a d'abord fallu communiquer avec le centre de traitement des déchets de l'arrondissement, afin de s'enregistrer et d'y détailler les indésirables. La dame à l'autre bout du fil m'a ensuite confirmé que la mise au rebut de chacun des trois articles, soit ledit fauteuil, une petite table trouvée en bord de chemin et jamais mise à profit, et une bouilloire, revenait à trois cents yen chaque. Elle m'a ensuite confirmé la date de collecte, le 17 octobre, soit exactement deux semaines plus tard. Il ne faut pas être pressé pour jeter ses gros bidules!

La veille du jour D (pour déchets), je suis donc allé au dépanneur du coin pour y acheter les trois autocollants de sodai gomi de type B (à trois cents yen) à apposer, sur lesquels j'ai inscrit nom, adresse et date. J'ai sorti mes trois articles, et les ai laissés en évidence dans l'espace de stationnement de mon immeuble, la bouilloire insérée dans la table, elle même posée sur le fauteuil. Le lendemain à mon retour de leçon en matinée, plus de trace de ces trois amigos, mon balcon pouvait mieux respirer. Celui-ci contenait encore quelques débris, dont un d'entre eux allait servir sous peu...


mardi 15 octobre 2013

Flocons de typhon

L'annonce d'une grosse bordée de neige les jours de semaine de mon enfance s'accompagnait de l'espoir que la gravité appréhendée du désastre blanc justifie, aux yeux des responsables qu'on aurait voulu plus peureux ou soudoyables, la fermeture de l'école, et ainsi une journée à jouer dans la neige.

Il est concevable que les enfants japonais des régions ceinturant la mer du Japon vivent les mêmes expériences hivernales, mais à l'instar des autres principales métropoles du pays, Tokyo ne voit des flocons qu'à quelques reprises chaque hiver, et la rare neige qui s'accumule au sol ne fait jamais long feu.

L'écolier peut toutefois compter sur un autre phénomène naturel pour le libérer à l'occasion des chaînes oppressantes de l'éducation étatique, j'ai nommé le typhon. Celui qui vient, Tokyo dans la mire, joliment baptisé Wipha et dont l'apogée est prévu pour demain en matinée, est apparemment le plus important des dix dernières années.

Comme replongé en enfance, mais sans devoir écouter la radio au petit matin en attente insoutenable de la confirmation de fermeture scolaire venue du ciel, je sais d'ores et déjà que ma leçon de japonais de demain n'aura pas lieu, le directeur ayant sagement décidé de fermer les portes de son école.

Je ne ressens toutefois pas la même joie que lors des blizzards ferme-école de jadis. Le fait que le plaisir ne découle pas aussi naturellement de l'eau de typhon que de la poudrerie de tempête y est probablement pour quelque chose...

lundi 14 octobre 2013

Affiche du tonnerre

Un district au sein duquel j'aime bien flâner à Tokyo se nomme Jimbōchō, où abondent les librairies de livres usagés aux mille et un trésors. Une boutique qui se démarque du lot s'oriente plutôt sur la culture de masse, et propose par conséquent, et par milliers, des magazines de lutte professionnelle, de base-ball, de sumo, des téléhoraires à la publication qui précède ma naissance, ainsi que des affiches de film et autres matériels promotionnels issus de l'industrie cinématographique. 

Les affiches de films cultes ou rarissimes sont évidemment assez chères, mais pour ceux plus obscurs, il est possible de faire de bonnes affaires, comme c'est presque toujours le cas lors de chaque visite.  Question de faire redonner à la présente tribune un certain air de régularité, permettez-moi à l'occasion de partager quelques-unes de mes trouvailles en cette boutique et parfois chez ses consœurs. Commençons donc par Tokyo Blackout...




En ce pays de séismes, typhons, éruptions et radiations, pas étonnant que les films catastrophes, dont celui-ci datant de 1987, aient historiquement eu la cote. Fait intéressant, le titre japonais (Shuto Shōshitu) signifie "Destruction de la capitale", plutôt que de Tokyo. 

vendredi 4 octobre 2013

Forfait

Finalement, je m'étais trompé : ce n'était non pas à titre de pharmacien qu'on requérait mes services, mais plutôt comme patient, heureux qu'une souriante pharmacienne, mon amie Natsumi, m'explique la posologie d'un antidouleur, les effets secondaires d'un régulateur de glycémie, ou toute autre consigne d'un remède quelconque, car au fond les pilules avaient été choisies strictement pour leur photogénie.

La séance s'est bien déroulée et, aux dires de l'équipe de photographie, plus rapidement qu'à l'accoutumé, sans doute grâce à la belle et professionnelle complicité qui existait entre moi et Natsumi, et au naturel ayant caractérisé notre poignant jeu soignant-patient.

Alors Guillaume, la vérité s'impose : si par essence tu es le plus compétent des pharmaciens, par défaut, tu es le plus convaincant. Bravo!

jeudi 26 septembre 2013

Pharmafroc

L'air est frais aujourd'hui, l'humidité, de retour à un degré décent. Ça me donne envie d'écrire, mais il y a aussi le beau ciel bleu qui me donne le goût d'aller courir. Les belles journées d'automne ont le don de nous déchirer.

Mon frère Guillaume a amorcé, il y a quelques semaines, sa troisième année d'études universitaires en pharmacie. C'est donc dire que d'ici quelques années, on devrait le voir à l'œuvre, vêtu d'un sarrau blanc, à distribuer, personnaliser dis-je, divers élixirs aux médicamentés. Il s'est engagé dans cette voie après l'achèvement d'un baccalauréat et de la moitié d'une maîtrise dans le domaine des sciences humaines. Fallait le faire.

Certes, sous peu il sera un véritable pharmacien, mais pour ce qui est de jouer à l'apothicaire, il sera deuxième au fil d'arrivée. C'est qu'une amie japonaise de Tokyo, pratiquant la pharmacie depuis quelques années déjà, m'a fait part du projet de conception d'une brochure promotionnelle par son employeur. Parmi les valeurs que cette société pharmaceutique cherche à véhiculer, la connaissance de l'anglais de son personnel y tiendra une place prépondérante. Natsumi, l'amie, en est un excellent exemple, ayant vécu quelques années à Toronto, lieu par ailleurs de notre rencontre.

Le hic, c'est que Natsumi, comme sans doute tous ses collègues doués en lingua anglica, est Japonaise et ainsi a l'air japonaise. Il faut donc, pour la brochure, un pharmacien qui soit blanc, pardon, qui ait l'air de parler couramment anglais, au diable que le bougre en question ne soit pas pharmacien pantoute.

La séance de photo aura lieu demain. Il me suffira, j'imagine, d'arborer un sourire invitant qui met en confiance et des yeux doux qui disent, en anglais, « prenez ces médicaments et n'ayez crainte, ils vous feront le plus grand bien », et surtout, d'avoir l'air non-Japonais. Pour le dernier critère, ça devrait aller, pour le sourire et les yeux, je dois encore m'exercer.

Alors Guillaume, on sait déjà qui sera le plus compétent des pharmaciens, mais qui sera le plus convaincant?

lundi 16 septembre 2013

Le bercail de la caille est Berne ou Berlin?

De retour au bercail tokyoïte après 24 heures à transiter par divers moyens. La température est plus agréable et moins humide qu'à mon retour du Canada à pareille date l'an dernier, quoiqu'il pourrait ne s'agir que d'un adoucissement éphémère, avant quelques semaines finales de fournaise.

Pendant ces deux semaines et des poussières, j'ai pu faire beaucoup, dont du camping, du vélo, de la course, de la pêche, des spectacles, même du karting, mais surtout, j'ai fait ces activités et partagé d'excellents moments avec des êtres chers, issus de ma famille comme d'amis.

Un seul élément a, et c'était prévisible, manqué à l'appel: l'étude et la pratique du japonais. Il y a bien eu quelques messages échangés avec des amis au Japon et la conversation avec l'employé nippon du café de mon ancien quartier torontois où mon ami Jeremy et moi étions allés siroter une boisson chaude en regardant les passants profitant d'un beau samedi, mais maintenant revenu je dois m'y remettre, redevenir l'apprenant qui, à défaut d'être studieux en tout temps, s'efforce de l'être assez souvent.

Je constate heureusement que mes notions plus approfondies de langue ont résulté en une régression moindre que l'an dernier. Et comme à l'automne 2012, je me dois à présent de mettre toute la gomme en vue de l'examen d'évaluation de compétences linguistiques japonaises (le JLPT en anglais, ou encore 日本語の力試験), qui aura lieu au début décembre.

Pour résumer l'expérience globale : bien content d'être de retour, bien content aussi d'y avoir fait le détour!

mercredi 11 septembre 2013

Le chou et l'achève

 
Je me devais bien de rendre publique mon oeuvre dans sa forme plus ou moins achevée, bien que quelques retouches que je ne me sens nullement pressé d'apporter ne feraient pas de tort. Le dernier jalon a consisté en l'achat d'un cadre, non seulement pour l'afficher au mur sans en voir les éléments la détériorer, mais également pour contrer le gauchissement du carton généré par la peinture appliquée d'un seul côté. Ce tableau hybride collage-peinture orne désormais le mur au-dessus de ma table à manger, prêt à me zyeuter la réalisation de mes prochaines créations...

mardi 10 septembre 2013

Une direction, plusieurs horizons

L'autre jour j'ai fait Montréal-Trois-Rivières avec Amigo Express. Le conducteur était Montréalais d'origine vietnamienne, en contrat de travail en Trifluvie, tandis que les deux autres passagers étaient étudiants à l'UQTR, le premier en médecine et originaire de Moldavie, la seconde en ingénierie mécanique et provenant du Maghreb. Tous contribuaient à la conversation, ininterrompue du départ à l'arrivée, et tous parlaient en français. C'était beau à entendre.

dimanche 8 septembre 2013

Le soleil le vent

Presqu'un mois sans blogue. On se lève un matin, passe au travers de la journée, se couche le soir venu. Rien d'écrit, on n'y a en fait même pas pensé, et voilà, plus de trois semaines de silence. Ce n'est pourtant pas par désintérêt. C'est l'habitude qui part sans se presser de revenir.

Et puis par une belle journée de septembre, on se décide, on écrit, en espérant qu'il s'agisse de la première entrée d'une longue séquence quotidienne. On ignore si ce ne sont que de faux espoirs ou si réellement on s'y remet, mais qu'importe. Rédiger procure du bonheur dont on se prive depuis un moment déjà, et c'est ce qui compte après tout.

La journée est belle, une balade de vélo avec le père attend. Assez d'écriture pour aujourd'hui, allons enfourcher une belle monture à roues.

vendredi 16 août 2013

Flamme liquide

La mise à jour se fait rare par les temps qui courent. Le projet, lui, avance plutôt rondement, et se double de courbe d'apprentissage plutôt vertigineuse sur la peinture et ses secrets.





  
Comme étapes à venir, je souhaite couvrir la vilaine coulisse jaune héritée des flammes trop liquides, décider si je peins les nuages à droite dans le bleu (quoique j'aime bien les avoir juste sur les bandes rouges) et aussi décider ou non d'en faire de la cendre volcanique expulsée des deux Fujis les plus près, et choisir de quoi sera composé le centre (car non, le couvercle de métal n'est que pour la photo).

Inspiré par cette première expérience depuis la petite école, je songe à me joindre à un atelier de peinture, question de complémenter cet auto-apprentissage en vase clos par l'étude de techniques en bonne compagnie. Un musée pas très loin de chez moi semble proposer pareille avenue, dont les portes fermées par O-bon en cours me forcent à m'armer de pinceaux de patience.

dimanche 11 août 2013

De collage à peinturage

Je travaille depuis quelques jours à l'ébauche d'un nouveau projet de collage, incorporant de la peinture pour la première fois. Il progresse plutôt rondement, et m'a permis d'apprécier pleinement le talent des véritables artistes-peintres. Même en recourant à de la peinture à l’eau, réputée, aux dires de la chanson, plus facile d’emploi que sa comparse à l’huile, c’est toute une paire de manches tachées de coups de pinceau que de l'appliquer sans faire de dégât! Prochaines étapes : la mer agitée et les gros nuages chargés de pluie et d'électricité (comble d'ironie, de ma porte de balcon grande ouverte, je perçois les coups de tonnerre incessants du véritable orage qui approche).



jeudi 1 août 2013

Chalibération

Il y a un homme dans ma salle de bains. Cet homme est mon frère, de retour en sol tokyoïte. Celui-là même qu'hier est revenu d'Indonésie, après un mois à voyager avec ses amis.

Il y a une grande chaleur qui règne dans ma ville. Cette chaleur est typique de l'été tokyoïte. Celle-là même qui me rend irritable, et qui existera deux mois encore.

Il y a un moyen de remédier temporairement à tout ça. Ce moyen est typiquement employé par les Tokyoïtes. Celui-là même qui consiste à se réfugier dans des régions fraîches, de par leur altitude ou leur latitude.

Bref, ce vendredi Kamikochi nous attend

jeudi 25 juillet 2013

Collagestation


Depuis les mois où je farfouille dans les librairies de livres usagés de Jimbocho à la recherche d’ouvrages d’ukiyo-e et d’illustrations des batailles de la fin de l’époque Edo, et après tant d'heures à choisir, découper, agencer et coller, voilà enfin achevé mon premier collage depuis quelques années, intitulé « Un plat qui se mange chaud »

mardi 23 juillet 2013

Sud au cul

En plein chaleur et humidité estivales infernales, le moment de la journée le plus sûr pour s'adonner à la course à pied est la nuit. J'en reviens justement, une belle dizaine de kilomètres à la lumière des lampadaires, souvent sous l'abstraction musicale des cigales, ayant aperçu en chemin nombre de chauve-souris et un gros crapaud, qui semblait transi à l'idée de traverser la route.

Il faisait certes plutôt frais, mais puisque l'obscurité ne diminue pas le taux d'humidité en même temps qu'elle fait baisser la température, je n'ai pas tardé à être détrempé de la sueur de l'effort. M'accordant une pause en parc à mi-parcours, en m'observant la carcasse suintante, j'en suis venu à la réalisation suivante : celui qui a chaud suera des aisselles. Celui qui a plus chaud encore suera du front et du bas du dos. Celui qui se croirait dans un sauna sera détrempé de la nuque, de l'entre-jambe et du cuir chevelu. Mais celui qui frôle l'hyperthermie, pour lequel aucune partie de son corps et de ses vêtements n'échappe au déluge, suera des avant-bras. Et oui, dans ce parc, bercé par le chant des cigales et le vol des chauve-souris, de mes avant-bras jaillissait le jus de fruit de mes efforts.

À votre prochaine séance intense de sudation brachiale, vous penserez à moi, et je suerai votre exemple!

jeudi 18 juillet 2013

Des nuées dénudées

Dans mes premières années d'école primaire, j'ai rêvé plusieurs fois la variante du même cauchemar.

Au début d'une journée d'école comme les autres, j'attends devant chez moi qu'on vienne me cueillir. L'autobus jaune s'immobilise à ma hauteur. J'y monte, m'assieds sur l'un de ses bancs en cuirette bruns, et là, l'horreur! Ni la brise dehors ni ma mère ne m'ont fait rendre compte que je suis parti sans vêtements! Le bus est déjà en marche, il est trop tard, je suis condamné à passer la journée tout nu, à devenir la risée de tous. L'horreur!

Cette terrifiante réalisation était généralement enchaînée par mon éveil. Je ne pense pas être le seul pour qui l'enfance a été le théâtre de ce mauvais rêve de nudité. Mais parfois j'en revis des relents, sans même dormir, ce qui chez d'autres est probablement moins fréquent. C'est qu'en cette période estivale où le transport à vélo rime avec abondante sudation, il est de mise de réserver l'enfilage de chemise qu'une fois arrivé à destination. La crainte, à la fois absurde et bien-fondée, est donc d'en oublier mes fringues de travail pour ne m'en rendre compte que trop tard, et avec elle l'humiliation de devoir enseigner en bermuda, gougounes et t-shirt. C'est pas tout nu, mais c'est pas jojo non plus!

jeudi 11 juillet 2013

Retour et inversion

Sur le balcon du ryokan de Iizaka, je vois et j'entends la rivière qui suit lentement son cours. Une faible pluie tombe, et une carpe japonaise blanche et orange se déplace lentement dans l'eau.

Ma chambre est la même qu'à mon dernier passage, il y a presque deux ans. À l'époque, souhaitant voir et peut-être comprendre, au-delà des reportages télévisés, l'impact du triplé séisme-tsunami-accident nucléaire,  je m'étais rendu à la ville de Fukushima, à une soixantaine de kilomètres de la centrale Dai-ichi.

Dans un parc en périphérie de la ville, des citoyens de la région y avait organisé un festival, comme plateforme d'échange et de discussion quant à leur avenir et aux risques liés à la radiation. J'y avais rencontré Tomoko, Satoko et Denis, elles japonaises, lui français. De leur kiosque, ils représentaient Ringono, organisme fondé afin de distribuer des pommes de la préfecture d'Aomori, d'où Tomoko et Satoko sont orignaires, la pectine trouvée en abondance dans ce fruit aidant le corps à se débarrasser du césium radioactif.

Je leur avais tenu compagnie et avais aidé à transporter quelques boîtes en fin de journée. Ils m'avaient grâcieusement invité à séjourner au même établissement qu'eux, celui-ci même depuis lequel j'écris les présentes lignes.

Près de deux ans plus tard, nous voici de retour, Denis en moins, à la rencontre de divers groupes et particuliers qui reçoivent toujours l'appui de Ringono. Le périple amorcé hier a également été l'occasion de ma première  véritable expérience de conduite à la japonaise, nécessitant l'adaptation à un sens de circulation inserve à celui prévalant au Canada. Heureusement, peut-être aidé par l'habitude de faire du vélo partout à Tokyo, bien vite j'étais à l'aise et en confiance, au soulagement de mes passagères.

Cela dit, la conduite n'était pas sans heurt, car le siège conducteur n'était pas le seul élément à l'inverse de la norme canadienne. Les leviers aussi étaient de convention contraire, si bien qu'en cette journée sans pluie, à plus d'une intersection, au lieu de signaler un virage, j'ai fait subir à mon pare-brise quelques coups d'essuie-glace à sec!

lundi 8 juillet 2013

Nouvelle dimension bloguiste

Dimanche dernier, en tant que l'un des trois seuls non-asiatiques au sein d'une salle de classe sur le campus d'une université à distance cyclable de mon logis, j'ai passé le test de niveau 2 de l'examen national de compétences linguistiques japonaises.

Si avant même ce moment j'entretenais de sérieux doutes quant à mes chances de réussite, pour cause de préparation inadéquate empirée par le temps de qualité passé avec mon frère en pays non nippophone (pour raisons familiales constituant un motif valable ici), mes impressions le jour d'examen brillaient par leur absence d'équivoque : cet examen du sept juillet, passé mais ne pouvant être que cassé, devenait dès lors test de préparation en vue de la prochaine occasion, début décembre.

Gare à moi toutefois de tomber dans le piège de la procrastination au cours des mois qui restent, car oui oui, il reste beaucoup de temps, et oui oui aussi, fin finaud je me disais la même chose en janvier dernier, alors que juillet et ses chaleurs me semblaient lointains, avec les résultats à venir qu'on devine.

Ainsi m'est venu à l'esprit le questionnement suivant : comment tenter d'étudier avec meilleure régularité au quotidien? Par quel moyen novateur pourrais-je mettre en pratique mes connaissances, apprendre à employer des expressions ou points grammaticaux nouvellement acquis? Au fond, que je me suis dit, quelle habitude quotidienne déjà maintenue pourrait être mise au service de l'apprentissage de cette langue? Et pourquoi ne pas lancer un blogue en japonais, devant servir de réceptacle à une courte composition quotidienne, comme manière de faire mienne la langue apprise, de m'en appuyer pour relater mes tranches vitales? Dans le bassin fertile de mon imagination, l'idée a germé, et ici vous en trouverez la première pousse (non mais, quelle poésie!). Blogue en japonais, croissons ensemble!

samedi 6 juillet 2013

Philippines jour 11 et 12 : rafting et clé

Si, en cours du voyage, la volonté d'en faire le récit était tempérée par d'autres plaisirs – se plonger dans son roman, s'étendre dans un hamac – le présent récit des deux dernières journées, rédigé alors que les tâches routinières ont pris le relais de l'insouciance des vacances, a naturellement tardé. Le voici, ici livré. 

Peu après les coups de sept heures, nous montons à l'arrière de la camionnette du parc, qui doit nous emmener au lieu de rassemblement indiqué par le responsable de l'entreprise de rafting. Dès le départ, je me rends compte que j'ai oublié mon appareil photo, ce qui m'empêche d'immortaliser la demi-douzaine de gamins qui prennent place à nos côtés, dès la sortie du partie, heureux d'un transport express jusqu'à leur école, en contrebas.

De la manière dont on m'avait expliqué le point de rencontre, je m'attendais à ce qu'il soit excenté, surtout qu'en principe nous allons vers une rivière que l'on devine loin du centreville, mais la camionnette finit par nous déposer sur l'avenue centrale, à deux pas de l'hôtel Ramon, où nous avons logé, la nuit précédente! Nous y attend un vieux camion chargé d'embarcations gonflables. Nous ne sommes pas en retard, mais dans ce pays où il est coutume d'arriver d'avance aux rendez-vous, nous sommes à peine assis que déjà le conducteur démarre et embraye la première. Le chemin jusqu'au point d'accès à la rivière est long, cahoteux et inconfortable, si bien qu'il ne se déroule bien qu'en fermant les yeux.

Les autres clients sont philippins, et difficilement distinguables des guides, à l'exception de deux blancs. En les voyant de loin, nous pensions que ces deux types étaient Australiens (surtout en raison de la coiffure blonde et ébouriffée de l'un deux), mais en discutant avant la mise à l'eau, nous apprenons qu'ils sont flamands. Ils voyagent aux Philippines car l'un d'entre deux, Herbert, y a vécu un an en 2009. Sa perspective et ses connaissances du pays, qu'il partage volontiers, sont rafraîchissantes, tout comme l'eau de la rivière que nous nous mettons à naviguer, peu après.

Le parcours est ponctué de quatorze rapides, entrecoupés de segments calmes nous permettant de sauter à l'eau et nous laisser porter par le courant. Contrairement aux eaux glaciales de eaux de la rivière argentine, lors de ma dernière expérience de rafting en 2008, ici nul besoin de wet suit, car la température est idéale, ni froide ni chaude. Les rapides en revanche ne sont pas aussi mouvementés que je l'espérais. Pour des sensations plus fortes, il eut fallu opter pour le niveau expert, plus cher. Le moment est tout de même plaisant sous tous les aspects.

L'activité achevée, c'est le retour à Cagayan, et comme prélude pénible à mon retour à Tokyo, je consacre les quelques heures avant que la camionnette du parc vienne nous cueillir, au même endroit qu'on nous a déposés en matinée, à régler les détails de l'obtention d'une clé de rechange, celle perdue étant désormais propriété de la mer des philippines. Il ne nous reste que la soirée tranquille au sein du manoir Paleaz, puis c'est le départ le lendemain, avant même les premiers cocoricos.

Les difficiles démarches quant la clé se poursuivent à l'aéroport de Manille pendant les quelques heures d'attente avant le vol international à destination du Japon. Tandis que j'échange des courriels et effectuer des appels téléphoniques auprès de la section de clés perdues de l'agence immobilière, plutôt éprouvants en raison de l'absence d'emploi et d'étude du japonais depuis près de deux semaines, Guillaume, ayant choisi Singapour comme courte escapade avant d'aller à la rencontre d'amis en Indonésie, se procure allègrement un billet aller-simple fort abordable, pour un vol le jour même en soirée. Son départ suivra le mien de quelques heures.

Amuse-toi bien en Indonésie, cher frère, tandis que je retourne aux choses sérieuses. Au plaisir de se revoir en août!

Merci chères Philippines pour l'accueil formidable, les bons moments et tes chaleureux habitants. Au revoir!

mardi 2 juillet 2013

Philippines jour 10 : chevauchée et plongée


Aéroport de Manille. J’écris ces lignes depuis le hall d’embarquement du terminal 2, éloigné des trois autres terminaux au point d’en faire pratiquement quatre aéroports distincts. Guillaume et moi-même nous sommes souhaités l’au revoir il n’y a pas une heure et déjà il me manque. Le chanceux poursuit son périple par un arrêt de trois jours à Singapour avant d’aller rejoindre ses amis en Indonésie, tandis que je dois rentrer à Tokyo, où demain déjà le travail m’attend. Me voilà donc, avec la petite mélancolie de fin de voyage, à devoir relater nos deux derniers jours ensemble. Heureusement qu’il prévoit une escale de quelques jours au début août.

Matinée du 1er juillet. En ce jour de fête du Canada, nous décidons de nous exiler de l’air pollué du centre Cagayan de Oro, ville ayant cru trop vite pour l’étroitesse de ses rues, qui sont bondées de moteurs deux temps montés sur divers châssis. En effectuant des recherches la veille, nous avons découvert que la réserve naturelle Mapawa, non loin du centre, peut nous héberger, quoique l'information disponible sur Internet soit plutôt floue. Un coup de fil nous a heureusement permis de régler les détails et de demander le transport par navette.

Tôt en matinée, donc, la camionnette du parc vient nous cueillir. Danilo, notre chauffeur, emprunte d’abord les routes du cœur de la ville puis l’autoroute encombrée qui longe la côte, avant de tourner dans un petit chemin nous menant vers les hauteurs. Bien vite nous apercevons, entre les arbres en bord de chaussée, le plateau sur lequel s’étend Cagayan et, au-delà, la mer des Philippines.

Les maisonnettes, nombreuses au départ, sont de plus en plus espacées à mesure que nous progressons, et les arbres gagnent en taille. Lorsque nous franchissons la guérite du parc, plus rien de reste de la métropole en constant flux que nous avons laissée en contrebas. L’endroit, au sein d’une forêt secondaire, se caractérise du chant d’une multitude d’oiseaux, et d’insectes de toutes sortes.

On nous dépose au ranch house, une majestueuse demeure en bois, toute ouverte sur une vallée boisée et dans laquelle une chambre est mise à notre disposition. Ce véritable manoir est à nous seul, car aucun autre visiteur ne doit y passer la nuit. Un grand livre illustré à l’entrée nous révèle la raison d’être de cet endroit, et du parc qui l’entoure : il s’agit de la bibliographie (ou de l’hagiographie) d’un certain Emmanuel Pelaez, un défunt politicien ayant déjà été vice-président du pays. Étanchant sa soif de lecture car il a d’ores et déjà achevé son roman apporté du Canada, Guillaume dans les jours à venir en parcourt de longs passages, m'informant de ceux dignes de mention. Les puissantes familles philippines semblent posséder une bonne partie du pays, et le clan Pelaez, propriétaire du parc et surtout des 2 500 hectares dont il est constitué, n'y fait pas exception.

On nous sert le petit-déjeuner, demandé expressément la veille, avec du café instantané, ce qui nous fait regretter le café frais fait du Casa Roca, puis nous avons ensuite la journée pour explorer le parc. L’une des attractions est un imposant arbre bicentenaire. Elvie, en charge du ranch house, nous indique qu’un guide pourra nous y mener gratuitement.

Nous marchons à direction du bureau d'accueil des activités. Pratiquement vide de monde à l’exception des employés du parc, le parc propose diverses activités dont des tyroliennes, du rafting (que nous avons déjà réservé pour le lendemain auprès d’un autre exploitant), et du cheval. Nous finissons par nous laisser tenter par la chose équestre, avec comme destination une belle chute se déversant dans un bassin.  
Deux guides, dénommés Gino et Dodoy, nous accompagnent sur un cheval. On me confie Jackie, une belle bête au pelage brun, tandis que Guillaume chevauche Santino, tout blanc.

Nous avons tous deux déjà fait un peu d’équitation (dans mon cas notamment au camp de vacances équestre El Poco, il y a plus de quinze ans, avec mes cousins de Granby), si bien qu’après un bon moment à progresser lentement dans le chemin de terre forestier, aidés des guides qui savent motiver nos montures, nous passons au trot, puis au galop pendant quelques segments plats. La chevauchée nous fait tous deux rigoler, et le plaisir est partagé par Gino et Dodoy. Au fond ils rient probablement de notre posture d’amateurs, mais qu’importe, l’activité est bien plaisante.

Nous parvenons à la fameuse chute, haute et à la hauteur de nos espérances, et dont le bassin semble profondément rempli d’eau fraîche, à l’ombre de grands arbres. S’impose d’abord le saut dans le bassin, depuis une hauteur de vingt-pieds (je dirais plutôt vingt pieds, mais ce n’est pas à moi, ayant grandi sous l’influence du système métrique, de les contredire). Si je n’ai eu jamais de difficulté à sauter en hauteur depuis avoir surmonté ma peur des hauteurs au Camp Mariste (second retour ici aux camps de vacances de mon enfance), dont le lac était doté d’un rocher en saillie plus haut encore que cette chute et duquel on pouvait sautait, je ressens un certain blocage ici. Je demande à Guillaume de me faire un décompte de dix secondes, qui avait permis au Camp Mariste de faire surgir en moi le courage, et aussi l’adrénaline, de me jeter dans le vide, mais tel un pétard mouillé, à zéro je reste immobile, transi.

Décidant de prendre l’initiative d’y aller en premier, Guillaume saute sans hésiter. Bien au frais dans l’eau, il convient de me servir un second décompte, en anglais cette fois pour que nos guides y joignent leur voix, et cette fois est la bonne. Je saute, vois l’eau qui approche en coup de vente, et splash!, je m'y enfonce, et elle verdoyante et ô combien rafraîchissante. J’en émerge, soulagé de m’être décidé et prêt à recommencer. Nous sautons deux fois encore, et probablement à d’autres reprises n’eut été de la longue montée en détour jusqu’au bout du tremplin de roche, tandis que l’un des guides nous prend en photo au pied de la chute.

Puisqu’il s’agit de notre seule destination, et qu’après n’attend que le retour au bureau d’accueil, avec détour par l’arbre bicentenaire, nous décidons de prendre notre temps. Au départ, je m’inquiète du fait que les guides risquent de se montrer impatients, puis je comprends qu’au fond, n’eut été de notre présence, ils auraient probablement flâné une bonne partie de la journée en cette saison basse. Leur langage corporel n'indique aucune presse, et même qu’au bout d’un moment, constatant que Guillaume et moi-même restons bien tranquilles dans l’eau, ils se piquent une sieste à l’ombre. Je finis par emboîter le pas et vais roupiller sur une plateforme en bambou à l’abri du soleil d’après-midi. Le départ pourra attendre un peu, ce qui fait l’affaire de tous.

Loin de Cagayan et son chaos, et rehaussé de chevaux au galop, belle journée tranquille et couronnée d’un souper dans la résidence Pelaez à la vue prenante, suivi de l’observation nocturne et fascinante des nombreux geckos au plafond, chassant les papillons de nuit attirés par les lampes, et se mesurant aux compétiteurs à coup de morsures et de griffures (l’un d’eux en ayant d’ailleurs perdu la queue).

Comme avant-dernière journée de voyage, où le retour au quotidien tokyoïte m’occupe déjà l’esprit, en contraste avec Guillaume et son mois encore à voyager, difficile de demander mieux!

lundi 1 juillet 2013

Philippines jour 9 : transport et incidents



Départ pour notre troisième et dernière destination du voyage : après l’ensemble Panglao-Bohol aux infrastructures touristiques assez développées, suivi de Camiguin plus tranquille et charmante, direction Cagayan de Oro, chef-lieu de la province de Misamis Oriental, province du nord de l’île de Mindanao, la deuxième plus vaste du pays.

Le traversier qui doit nous permettre de gagner cette nouvelle île n’est pas annulé, tel que nous le redoutions, et nous y prenons place quelques vingt minutes avant le départ prévu, le matin à huit heures. Peu après le départ nous avons droit au spectacle du premier Philippin fâché aperçu du voyage : debout à une dizaine de rangées de sièges devant, gros et joufflu il semble en colère à l’égard d’un autre passager, et exprime sa frustration assez vocalement. Heureusement, il se calme avant que l’affaire ne s’envenime davantage (quoiqu’un côté voyeur en moi ait voulu le voir en venir aux poings).

Nous accostons à Balingoan au bout d’une heure trente. Cette petite localité est située à près de quatre-vingt-dix kilomètres de Cagaya de Oro, et dès la porte du terminal franchie un type aux deux incisives inférieures rongées vient nous proposer le transport privé jusqu’au centre de la ville. À 2 000 pesos, nous jugeons son prix exorbitant, mais celui-ci nous indique qu’à 800 pesos, il peut nous transporter, pourvu qu’il trouve d’autres personnes à transporter. 

Sans accepter ni refuser son offre, car je doute qu’il puisse nous trouver de tels compagnons de transport, nous cherchons ailleurs. Un autre type nous offre de nous emmener jusqu’au terminal de bus de Balinguan pour dix pesos chaque (environ 50 cents au total). Nous convenons, présentons de brèves excuses à celui aux incisives abîmées, et montons dans le tricycle de son compatriotes. Celui-ci avance de cinquante mètre, tourne à droite dans la route principale, la parcourt sur un autre cinquante mètres, et voilà pour le parcours de taxi le plus court de ma vie! 

L’homme enrichi de vingt pesos nous dépose directement devant un vieil autocar presque déjà rempli de Philippins. Le prix de transport jusqu’au centreville de Cagayan : soixante pesos chaque! Pareille aubaine est évidemment dégarnie de tout confort, et l’habitacle est tout autant sinon plus inconfortable que les bus scolaires de mon enfance. L’autocar semble rempli à capacité au moment du départ, mais cela est sans compter l’esprit d’entreprise philippin, car à maintes reprises il s’immobilise en bord de route pour laisser monter de nouveaux clients, qui s’entasse d’abord à l’arrière, puis un peu partout, à trois sur les banquettes conçues pour deux, et finalement les gens doit se tenir debout dans l’allée. Sans surprise notre banquette finit par être occupée par une grand-mère tenant son petit-fils sur les cuisses. 

Nous sommes entassés, la route est longue, il fait chaud, et malgré tout le transport se déroule somme toute bien. Guillaume a le temps de finir de lire son roman, tandis que je parviens à faire la sieste.
À mi-chemin environ, nous sommes témoin d’un autre événement qui, à la manière de l’homme furax du traversier, se produit probablement souvent aux Philippines, mais pour lequel nous assistons pour la première fois : alors que nous sommes immobilisés dans un tronçon passant, tout juste à notre hauteur nous voyons le conducteur d’une moto tentant un dépassement à notre gauche (du côté où nous prenons place) fait une mauvaise manœuvre et glisser longuement, agrippé à sa moto et en compagnie de ses deux passagers, sur l’asphalte de la voie opposée. Un camion-citerne a tout juste le temps de se ranger, sans quoi ces trois accidentés de la route y auraient laissés leur peau, plutôt que de ne perdre qu’un peu de peau par frottement.

C’est la commotion autant dans l’autocar que pour les Philippins témoins de l’accident dans la rue. On vient rapidement en aide à ces trois personnes, on enlève la moto de la route, et rapidement la circulation reprend son cours normal et dense, au moment où notre propre bus se remet en route. Les personnes impliquées ne semblent pas blessées, au point où, quelques minutes plus tard à peine, nous les apercevons qui nous dépassent, l’un des passagers tenant un bout de clignotant de la moto, détaché sous la force de l’impact!

Nous parvenons finalement au centre de Cagayan, et allons prendre une chambre à l’hôtel Ramon, plutôt délabré mais bien situé, comme premier pied à terre dans ces nouvelles terres à explorer. La soirée dans cette ville chaotique, congestionnée mais bien vivante, nous offrira notre troisième situation inusitée du voyage, sous la forme d’une fille avilie par l’alcool et embarrassant ses amis, en plus d’autres rebondissements et surprises. Camiguin la paisible est bien loin, mais la folie d’un centre urbain philippin mérite aussi d’être vécue, ainsi pensons-nous au moment de trinquer dans le resto-bar, alors que derrière nous une certaine fille ivre fait toute une scène.