vendredi 30 décembre 2011

À Torowa Ribuiēru

Je suis dans ma chambre d'enfance du domicile parental, baigné par la lumière reflétée par la neige qui recouvre le sol dehors. Le temps a tendance à se dérober sous nos yeux, et si j'en n'ai pas l'impression, il y a un an déjà je m'embarquais dans cette aventure japonaise. En guise de dernière entrée de l'année, trois observations juliennes sur ce séjour en sol étranger :

L'exotisme des premiers temps s'estompe naturellement, et ce qui était au départ curieux ou surprenant devient banal. Parfois, heureusement, un son, une odeur, un point de vue ou une sensation de déjà-vu me replonge dans cet état d'esprit des débuts, où tout était nouveauté, tout était découverte.

Quand j'aperçois des noms propres d'origine étrangère, j'ai à présent le réflexe de me demander s'ils peuvent être naturellement prononcés par les Japonais. En termes citadins nord-américains, Chicago, Toronto et Miami s'en sortent bien, tandis que Los Angeles, Vancouver et Trois-Rivières (Rosanzerusu, Bankūbā et Torowa Ribuiēru) sont plutôt charcutés.

Le Japon, dont le futur n'était déjà pas tout à fait rose, a subi en mars 2011 le triplé séisme, tsunami et crise nucléaire, sa pire catastrophe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si mon avenir, tout comme celui du pays, demeure incertain, j'ai tout de même décidé de le poursuivre en ces contrées.
Bonne Année à tous celles et ceux qui ont tiré du plaisir à me lire!

mardi 27 décembre 2011

Des ménages

Un – de Shawinigan à Trois-Rivières, avec la famille à l'âge de huit ans
Deux – de Trois-Rivières à Québec, rue Murray, à l'âge de dix-huit ans, avant d'amorcer mes études universitaires
Trois – de Québec, rue Murray, à Québec, près de l'autoroute du Vallon, pour emménager avec ma sœur
Quatre – de Québec à Paris, en tant qu'étudiant en échange à Sciences Po Paris, dans le dix-neuvième arrondissement, métro Jourdain, très près du parc des Buttes-Chaumont et de la Place des fêtes
Cinq – de Paris à Toronto, rue Seaton, à vingt-et-un ans, pour cause de boulot trouvé, la chambre au 265 Seaton ayant auparavant été occupée par mon collègue de l'époque, Michel Legault
Six – de Toronto, rue Seaton, à Toronto, rue Montrose, pour déménager avec mon bon ami Jeremy
Huit – de Toronto, rue Montrose, à Toronto, avenue Ossington, car on avait trouvé un logis exceptionnel de par sa taille et sa qualité
Neuf – de Toronto à Tokyo, arrondissement de Setagaya, logement conseillé par mon ami Alain pour amorcer mon année au Japon
Dix – De Tokyo, Setagaya, à Tokyo, quartier Yostuya, après à peine dix jours, car je me suis rendu compte que mes priorités ne correspondaient pas à celles d'Alain
Onze – De Tokyo, Setagaya, à Tokyo, logement de mon collègue George à Takenotsuka, pour raison de logement bien moins cher dans cette ville chère
Ainsi s'agira-t-il déjà de mon onzième déménagement à vie, ce qui fait pas mal de déplacements pour un homme de vingt-sept ans. Tout est fin prêt, ou presque, pour l'inspection de ma chambre par le personnel de la société immobilière, prévue entre neuf et dix heures demain. C'est barbant les déménagements, même s'ils constituent une bouffée d'air qui dégourdit.

Et qu'est-ce qui m'attend à la suite de ce déménagement démangeant? Trois semaines au Canada à voir famille et amis, au grand plaisir de moi, ma famille et mes amis.

dimanche 25 décembre 2011

Lavement

Plus que trois nuits à dormir dans cette petite chambre d'Arakicho, ce district du centre de Tokyo. Trois dernières nuits après plus d'onze mois à y vivre, dans cette petite chambre.

J'ai amorcé les préparatifs en vue de l'inspection finale de mes quartiers par le personnel de Sakura House, la société immobilière gérant l'immeuble dans lequel j'ai vécu tout ce temps.

L'impression nette que j'en tire de cette amorce de préparatifs, c'est que l'être humain a la fâcheuse tendance à accumuler beaucoup de matériel inutile, et ce, malgré que l'être humain en question aime se concevoir non-matérialiste.

Ainsi un sac de plastique rempli de papiers repose sur mon lit, sans compter ma corbeille qui déborde d'autres cochonneries à se défaire. Tant de choses m'empêchant de naviguer la vie en toute liberté.

Voilà peut-être le bienfait qui fait du bien des déménagements fréquents, le rappel que la vie n'est pas une accumulation de bébelles, mais bien une somme d'expériences intangibles littéralement, mais bien tangibles figurativement. À bien y penser, ce grand ménage fait partie de cette somme d'expériences, et ce, sur fond antipodal de Boxing Day, synonyme d'accumulation de bébelles.

jeudi 22 décembre 2011

Déjà le vingt-trois. Le temps a cette tendance à se dérober sous nos yeux, et chaque année immanquablement je juge que Noël arrive trop vite.

Cette année, toutefois, je serai au Japon pour l'occasion, pays dépourvu de tradition de nativité. Il s'agit plutôt d'un moment de romance pour les couples, et j'aurai la chance de me la jouer romantique dans un ryokan en bonne compagnie.

Le Nouvel An, beaucoup plus important au pays du soleil levant, je le vivrai en revanche en sol canadien, durci par le gel, et entouré de mes proches, famille et amis. Voilà qui m'en voit ravi!

lundi 19 décembre 2011

À souhait

Je viens d'achever ma préparation de leçon en vue de mon cours de japonais, demain à onze heures. Alors que, jusqu'à tout récemment, je suivais un cours de deux heures chaque jour de semaine, depuis la fin novembre, ma ration d'apprentissage en classe se résume désormais à deux cours privés de trois heures, les lundis et mercredis pour un total hebdomadaire de six heures.

Bien que ma présence en classe ait ainsi diminué de dix à six heures, j'ai nettement l'impression que j'apprends plus efficacement ainsi, car justement il est plus aisé de faire place à une préparation adéquate, pour ainsi optimiser chaque minute face à l'enseignant. C'est presque honteux à dire, mais je crois bien avoir perdu mon temps auparavant, à l'époque des dix heures. Il n'est jamais trop tard pour redresser son mode d'apprentissage.

Lorsque je m'attarde à la maîtrise de nouvelles formes grammaticales particulièrement ardues, je ressens un certain inconfort plutôt tangible au cerveau, comme si le réalignement ainsi occasionné de mes neurones se faisait au prix d'efforts bien ressentis.

Parfois cette gêne cervicale m'irrite un tantinet, mais puisqu'il faut souffrir pour être beau, je persévère, en attendant ce moment chéri où, dans le cadre d'une conversation libre avec mon enseignant ou quelque autre Japonais, je parviens à insérer d'une manière tout à fait à propos ladite forme grammaticale à l'origine du dérangement neuronal. C'est en pareille situation que les fruits de l'effort prennent tout leur sens, mûrs, sains et savoureux à souhait.

dimanche 18 décembre 2011

Récentualité

Dernièrement, un artiste m'a figurativement jeté par terre, comme rares les choses autres que la gravité le font.

Dernièrement, dans le cadre d'un imbroglio dans lequel je jouais initialement un rôle d'apparence neutre, j'ai été forcé de choisir mon camp, par une remise en perspective circonstancielle.

Dernièrement, le temps s'est refroidi, même que cette nuit on approche le point de congélation. Cela n'est rien, à comparer à ce qui m'attend au Canada. Le manteau d'exploration arctique de mon père devrait être mon fidèle compagnon pendant ces trois semaines.

Dernièrement, j'attends le retour d'une gente dame, en voyage d'affaires dont la durée, courte sur toute une vie, semble interminable en ce début de relation.

samedi 17 décembre 2011

Relativité du compliment

Une longue journée 

pendant laquelle
on se fait complimenter
sur sa nouvelle cravate

Une longue journée
 un peu moins longue

vendredi 16 décembre 2011

La borne

Avec l'ami Jérôme il y a peut-être un mois, nous marchons le long du boulevard Shinjuku, à quelques minutes de chez nous. Je crois que nous revenions de souper d'une izakaya, mais quant à la certitude de ce souvenir, ma main au feu je ne jetterai pas.

Je remarque ce qui ressemble à une borne conçue pour gonfler les pneus de bicyclette. Une autre combine pour escroquer les cyclistes, que je me dis, sans trop m'y attarder.

Quelques jours plus tard, au retour de mon cours de japonais, je détermine que le temps est venu de donner un coup de pompe à mes pneumatiques.

Je me rends tout d'abord à la station service, où la dernière fois un pompiste sympathique m'avait permis d'utiliser la pompe manuelle de l'établissement. À mon petit désarroi, il s'agit d'un autre employé cette fois-ci, et l'effronté nie catégoriquement l'existence de la fameuse pompe.

Renfrogné, je me retiens de m'obstiner, et amorce la montée menant à mon domicile, sur des roues un peu flasques à mon goût. Ce faisant, je me souviens de la borne titulaire de la présente anecdote, et me résigne à y aller, même si la nécessité de payer pour de l'air m'offusque au passage.

Lorsque je la localise, une agréable surprise m'attend : son utilisation est gratuite, gracieuseté des autorités de Yotsuya, mon quartier. Le sourire en coin, tandis que je redonne de la fermeté à mes routes, je me dis qu'il ne faut pas toujours se laisser borner par ses propres présuppositions.

jeudi 15 décembre 2011

Tragiconnerie

La grande tragiconnerie humaine. Parfois on y assiste, parfois on y prend part.

À titre de spectateur, tantôt on est aux premières loges, tantôt on se retrouve confiné aux plus hauts gradins. On se plaît à penser que nos cris, applaudissements, incantations et huées en influencent l'issue, mais jamais on ne sait si c'est le cas. L'entrée est gratuite ou tarifée, parfois coûteuse, mais c'est souvent à la sortie qu'on doit payer.

En tant qu'acteur, à l'occasion on décroche le premier rôle, plus souvent on joue celui de soutien, et notre rôle perd ou gagne en importance à mesure qu'évolue l'action. Rarement le scénario est suivi à la lettre; généralement il y a place à l'improvisation à divers degrés, à la qualité d'exécution variable. Et s'il est facile de retracer les origines du récit, la fin n'en est pas moins imprévisible.

D'acteur il arrive qu'on devienne spectateur et vice-versa, à notre insu ou en toute connaissance de cause. Un tel changement, brusque ou graduel, nous prend régulièrement à contrepied, et il faut du temps pour nous rééquilibrer. D'un tel coup de théâtre certains trouvent un second souffle, d'autres en perdent le souffle.

La grande tragiconnerie humaine. Dans tous les foyers près et loin de chez vous.

mardi 13 décembre 2011

Prompt rétablissement

Pendant plus de cinq ans à Toronto, j'ai été traducteur à la pige. Ce travail à contrat était bien payé, mais plutôt pauvre en avantages sociaux. Cette pauvreté se traduisait (et ce verbe est bien d'adon) par aucune couverture médicale ni dentaire, une absence de congés avec solde et l'inexistence des congés de maladie. Un boulot à occuper lorsqu'on est jeune et en santé.

Je me considère encore jeune et en santé, mais j'ai aujourd'hui la chance d'être au service d'une entreprise aux avantages sociaux non pas plus avantageux, mais aux avantages sociaux tout court.

À l'époque, lorsqu'une bonne grippe semait la pagaille en moi, la seule solution consistait à poursuivre mon labeur le temps que le système immunitaire reprenne le dessus, quitte à voir ma productivité décliner. En travaillant devant un ordinateur, je n'avais pas à tousser fiévreusement devant mes clients. Soit je travaillais, soit je ne générais aucun revenu, et ce dilemme n'en était pas vraiment un. En cinq ans, je crois n'avoir jamais manqué à l'appel.

Sous l'influence de cette philosophie du travail à tout prix en dépit d'un contexte différent, hier je suis allé à mon école en vue d'enseigner deux leçons à la même étudiante. Quel désastre! Entre éternuer bruyamment et me retenir de le faire, en passant par la répression de l'envie de renifler le mucus s'accumulant tout en reprochant une fictive allergie, je crois avoir semé l'effroi chez mon étudiante, et je redoute lui avoir transmis mon infection.

Ainsi, ce matin, mon état ne s'étant pas sensiblement amélioré, pour la toute première fois j'ai annoncé par voie téléphonique mon absence pour cause de maladie. Même si j'avais des raisons tout à fait valables de le faire, je n'ai pu m'empêcher de me sentir un peu truand, comme si je commettais une transgression, un interdit. C'est une drôle de sensation que de caller malade, un peu étrange mais certes plus agréable que celle ressentie par mon nez, rougi et irrité.

lundi 12 décembre 2011

Trois pour un

Par cette belle journée ensoleillée, c'était le moment d'aller à Shinagawa récupérer mon nouveau visa, pour un trajet à vélo de neuf kilomètres. Déjà que ces dix-huit kilomètres au total représentent un bon exercice, les parcourir en souffrant d'une infection de la gorge et d'une légère fièvre relève de l'exploit, sinon de la témérité.

Ainsi j'ai mis la main ce nouveau visa, valide un an. J'aurais voulu obtenir celui de trois ans, mais pour ce faire, il m'aurait fallu trafiquer le formulaire prérempli par Berlitz, l'entreprise me parrainant, en biffant le chiffre un dans la colonne de la durée de séjour demandée en années pour le remplacer par un trois.

Ce n'est qu'après coup, déçu en observant le visa d'un an estampillé dans mon passeport, que je me suis dit qu'il aurait valu la peine de tenter le coup.

Cette mince mésaventure est l'équivalent d'une répartie assassine, à une remarque désobligeante, à laquelle on ne pense que trop tard. Tiens-toi prêt l'an prochain à subir ma réplique cinglante de trois ans, toi l'auteur de commentaires malavenants d'un an!

dimanche 11 décembre 2011

Aux doigts mais pas aux yeux

Il y a des premières à l'hiver. Première activation du chauffage, première sortie du manteau, premier port de bas chauds, première enfilade de gants.

Pour moi, le moment marquant n'est ni le port de vêtements isolants ni la remise en marche d'une machine, mais une sensation, ou plutôt la perte de sensation. Ne plus sentir le bout de ses doigts pour la première fois depuis des mois, le voilà pour moi le début de l'hiver, la voilà la vraie première. 

Et puis il y a toujours la petite douleur afférente au retour de la sensibilité pour nous rappeler que si le corps a froid aux doigts, la vie n'a pas froid aux yeux.

vendredi 9 décembre 2011

Mitaines-Unies d'Asie

Tôt le matin, en bon travailleur je suis en train, assis entre une dormeuse et un lecteur. À l'arrêt Ochanomizu (御茶ノ水, littéralement eau de thé car à l'époque c'était à la rivière bordant cette gare qu'on puisait l'eau servant à l'infusion de cette boisson), à l'arrêt Ochanomizu donc, les portes du train sont sur le point de se refermer lorsqu'entre en trombe une fille qui venait de débarquer. Elle se penche et, tandis que derrière elle les portes se referment, elle ramasse sa mitaine tombée au sol un instant plus tôt. Pour ne pas faire des orphelines de ses moufles, la pauvre s'est sacrifiée, au prix de devoir revenir sur ses pas, ou plutôt sur ses rails. C'est le prix à payer pour maintenir ses mitaines unies.

mercredi 7 décembre 2011

Discours-rire

Ce soir, l'institut de japonais où j'étudie organisait un party de Noël. Monsieur Genki, le propriétaire, m'avait demandé de prendre part au concours de discours.

Pensant à tort que nous allions être plusieurs à nous donner en prestation, j'avais accepté. Nous n'étions que deux, moi-même suivi d'une fille, qui à l'accent et à la teinte capillaire, je dirais d'origine russe.

À en juger la réaction de personnes en présence, je crois bien avoir remporté la compétition. Du moins, et cela est pour moi un objectif fondamental de l'apprentissage de toute langue, j'ai réussi à faire rire mon public à plusieurs reprises. Le discours avait pour thème la raison de ma venue au Japon. De quoi s'esclaffer jusqu'en avoir mal aux poumons.

mardi 6 décembre 2011

Nuit de frigidaire

C'est le récit d'un homme qui a envie de bouger, de se dépoussiérer les jambes, de se secouer le cardiovasculaire, mais dont les projets sont contrecarrés par madame Nature.

Tant le mardi que le jeudi après-midi, moments pour lui propices à la course à pied, la mamzelle s'est mise à pleurer de froides larmes sur le pavé.

Renfrogné, l'homme titulaire du récit, dans son incarnation du jeudi, se résigne à devoir courir le lendemain, vendredi. Averti, il jette un coup d'œil aux prévisions météos. Diantre, la dame ne dérougit pas et nous réserve de la pluie demain aussi! Mais c'est qu'elle est peu avenante, cette régente du temps!

Tant pis, se dit l'homme qui demeure le même homme que l'homme susmentionné, je me rendrai au souper prévu avec une amie sans d'abord haleter et suer sur une dizaine de kilomètres.

De retour après son goûter de pizza, sa foi fort bon, l'homme ressent soudain l'envie d'y aller courir, malgré le minuit qui cogne aux portes de son fuseau horaire. N'en déplaise à la mère de Miss Météo, qui de tout manière s'est accordée une pause de pleurnichements.

À l'ombre des lampadaires, ainsi l'homme a couru en solitaire, fendant le frigide air.

lundi 5 décembre 2011

Pluvieux que jeune

Si en journée ennuagée ponctuée d'averses

Le temps est pluvieux

En journée où le soleil brille de tous ses rayons

Et les averses brillent par leur absence 

Le temps est-il plujeune?

Parabière

Vous entrez dans un bar. Vous avez soif, vous êtes paumé, et vos tendances cleptomanes vous démangent. Vous faites un tour d'horizon de l'endroit, à la recherche de promesses enivrantes à dérober.

Vous apercevez tout d'abord des cocktails peu surveillées. Trop spécifique, que vous vous dites, et puis le risque de tomber sur une concoction douteuse est trop élevé.

Vos yeux se portent ensuite sur une bouteille de bière importée fraîchement débouchée, probablement laissée là par un gars parti pisser. Excellente sélection, vous pensez, mais trop exclusive. Une fois la vessie soulagée, le bougre n'aura aucun mal à me retrouver.

Fait irruption dans votre champ de vision la victime idéale : un verre de bière pression presque plein, dans un coin pratiquement désert. Prise parfaite parce que, à moins d'être pris sur le fait, son caractère anonyme vous décharge du fardeau de la preuve. Comme un billet de banque, une fois en votre possession, personne ne peut prouver que cette bière pareille à toutes les autres ne vous appartient pas.

Vous salivez en attendant quelques minutes l'arrivée de l'hypothétique propriétaire de la boisson, puis vous vous dirigez vers le Saint-Graal d'un pas décidé. Vous l'empoignez et vous vous éloignez de la scène de crime, la démarche tout aussi assurée. Personne ne réagissant au larcin, vous portez la coupe à vos lèvres et savourez le nectar de la victoire.
Au Japon, un phénomène semblable à celui décrit dans cette parabole se produit en temps pluvieux. Il est en effet d'usage de laisser son parapluie dans des égouttoirs disposés à l'entrée des restaurants, dépanneurs, bars et autres établissements. C'est alors que la horde des détrempés se transforme en voleurs de grand chemin. Ces mécréants ne volent pas les parapluies de qualité aux motifs qui se distinguent, mais plutôt les modèles les plus abordables. Standardisés, à la toile blanche ou transparente, leur vol n'est que formalité, et une fois entre vos mains, et bien il vous appartient.

L'honnête citoyen, victime de la combine, en vient à la conclusion que lui aussi se doit de faire de même. Ainsi, dans ce pays où la plupart des vols brillent par leur presque absence, le parapluie fait figure d'exception. Que faire d'autre, sinon d'acheter un parapluie qui se distingue, où une bière importée rarement commandée?

dimanche 4 décembre 2011

George

Il s'appelle George, mais son vrai nom est Jerzyk, il a quarante-sept ans, c'est un collègue à moi. Anglais d'origine, mais Polonais de famille, il n'est pas issu du moule des Anglais ventripotents passés un certain âge gros buveurs amateurs de soccer, comme son pote Paul qui n'a pas cessé de boire et fumer malgré son diabète, mais plutôt de celui des Anglais passés un certain âge mais bien sapés, actifs et appréciés de la gente féminine.

George a la cote auprès des femmes, et il leur rend bien la pareille. Il aime me relater ses bonnes aventures et mésaventures à cet égard. S'il parlait français, je ne pense pas qu'il s'opposerait à se faire qualifier de coureur de jupons. Si seulement je pouvais le lui dire en polonais.

George a un grand cœur et est prêt à beaucoup pour ses amis. Et puisque je ne suis plus qu'un collègue mais maintenant son ami, George m'a offert de venir vivre chez lui à mon retour au Japon, à la mi-janvier. Il a une chambre inutilisée, depuis laquelle jadis il donnait des cours privés. De quatre-vingt-trois mille yen, mon loyer mensuel passera ainsi à quarante-cinq mille yen. C'est sans tenir compte du trouble ainsi épargné à devoir trouver un nouveau logis.

George, c'est un bon Jacques.

vendredi 2 décembre 2011

Direction nord

Il est sept heures cinquante trois. À attendre l'arrivée du train de la ligne Chuo en direction de la station Shinjuku, dans laquelle je dois effectuer un transfert jusqu'à la gare Akabane ma destination (dont les kanji 赤羽 signifient notamment plumes rouges), où à l'école Berlitz de l'endroit j'ai deux leçons au menu dès huit heures trente, je reviens sur la raison pour laquelle j'ai manqué la deuxième entrée de la série de sept escomptées.

Me voilà maintenant sur une plateforme de la station Shinjuku, à attendre l'arrivée du train de la ligne Shonan de huit heures sept qui m'apportera, espérons, à bon port. La raison énoncée au premier paragraphe tient, je l'avoue, à une planification fautive de mon temps, bien que je sois tenté de rationaliser ce manquement grave à ma propre ligne de conduite. L'humain est bien plus digne de mon attention que la machine, rationnalise-je, et justement hier soir je me suis consacré à une humaine digne de mon attention.

Le train ralentit à l'approche de la gare Ikebukuro. À l'occasion, le soleil du matin se fraye un chemin et m'aveugle momentanément. Une belle journée prend le relai d'une nuit belle. 

jeudi 1 décembre 2011

Le sceptre chanceux

C'en est rendu à un point ridicule. Où est passée, où a déguerpi, cette force qui te poussait à contribuer chaque jour à la présente tribune? Quelle huile te faut-il jeter pour raviver la flamme qui se fait plutôt étincelle faiblissante depuis quelques temps?

Si les mauvaises habitudes sont difficiles à chasser, on pourrait également avancer que les bonnes ne se maintiennent pas sans effort. Comment donc, et voilà le cœur du problème, rétablir la bonne habitude? Si l'adjectif quotidien détermine ce qui revient chaque jour, et bien il faut recommencer un jour, et ce jour c'est aujourd'hui, ou cette nuit, pour être précis.

Dès lors, l'objectif quotidien se transforme en cible hebdomadaire. Sept entrées journalières consécutives, c'est tout ce que je me demande. Le sceptre du sept chanceux, à moi de le brandir, victorieux.