jeudi 28 février 2013

Savoureux

J'enseigne le français à l'institut Nichibei depuis plus d'un an et demi. Le professeur Oi, son directeur francophile, m'avait à l'époque proposé qu'on se partage un cours de conversation, les vendredis après-midi.  J'avais accepté, si bien que je donne une leçon toutes les deux semaines en moyenne depuis.

À compter du mois prochain, cependant, le mercredi soir je serai maître de mon propre cours, pourvu que le seuil d'inscriptions soit franchi, tout en poursuivant celui à demi-charge du vendredi.

Si dans les précédents prospectus de l'institut je n'étais qu'un anonyme « assistant » du professeur Oi, une belle surprise m'attendait aujourd'hui au moment de feuilleter celui du trimestre à venir. Y figuraient non seulement la description du cours, mais mes nom, portrait, expérience et formation.

C'était beau à voir, en quelque sorte une consécration, et certainement une belle marque de la confiance croissante de monsieur Oi à mon égard. Et la pente ascendante continue de plus belle!

Vous habitez Tokyo et souhaitez y parfaire votre français? 
J'ai la solution pour vous!

mercredi 27 février 2013

Printanesque

Le soleil. Il brille fort aujourd'hui. Je module donc mon parcours de jogging en fonction son orientation. Parti de chez moi vers 13h30, je vais d'abord longer la rive nord de la rivière Kanda, presque entièrement baignée par ses rayons.

En cette dernière journée de février, la température a des airs de printemps. J'ai décidé avec raison d'omettre le chandail à manches longues des courses précédentes. Habillé en t-shirt et shorts, ma température corporelle se maintient à un niveau optimal.

Je cours en bordure de rivière jusqu'à la station Ochanomizu, à partir de laquelle je me dirige vers le sud. Je tourne ensuite sur Yasukuni, avenue assez large pour empêcher aux immeubles de me faire de l'ombre.

Je traverse le quartier Jimbōchō, parsemé de librairies d'occasion. Je n'y suis pas en quête de bouquins, mais je ne peux m'empêcher de jeter un bref coup d’œil à un étal en bord de trottoir. Je tombe sur un carnet des 100 montagnes célèbres du Japon. Je l'achète, et pour ne pas me nuire d'ici la fin de la course, je le laisse en gage aux propriétaires, une dame âgée et sa fille. Je sors de leur boutique et me remets à courir, tout en spéculant sur les montagnes à mon palmarès. J'en estime le nombre à six ou sept.

Je décide de m'accorder une pause à Kita-no-maru, parc peu achalandé qui me plaît, juste au nord du palais impérial. Couché dans l'herbe desséchée devant le petit étang, je m'assouvis, bercé par les chauds rayons du soleil. Je m'éveille après un certain temps, m'échauffe tout en chassant les brindilles de mes vêtements, puis reprends ma course, vers l'appartement. Il fait tout aussi beau qu'au départ, plus d'une heure auparavant. Le printemps est à nos portes, au revoir février.


mardi 26 février 2013

Feu néon

Je me dirige à vélo vers Shimokitazawa, un quartier branché de l'ouest de la ville dont ma dernière visite remonte à plus d'un an. J'y ai un rendez-vous, et puisque je suis en retard, je pédale à toute vitesse.

Le long de la route 420 alors que je ne suis plus très loin du but, j'aperçois soudain un affichage au néon à l'hilarante défectuosité. Sans hésiter je mets les freins et sors l'appareil photo de mon sac, car pour la postérité je ressens le devoir d'immortaliser cette scène d'une rare beauté. Mes excuses à celle qui m'attendait, dont j'apprécie la compréhension. Non mais, comment demander mieux en frais de néon brûlé?

 Venez tous trinquer au Il Chiant Café, là où le service ne vaut pas de la...

dimanche 24 février 2013

En paire contre pertes

 Petit dernier de la famille

Depuis quelques années, en plus de clés, mon trousseau était équipé d'un tout petit canif, doté d'une lame, d'une lime à ongles et de ciseaux, souvenir de l'Île-du-Prince-Édouard rapporté par mes parents. J'utilisais presque exclusivement les ciseaux, la lame étant émoussée dès sa sortie de l'usine, et la lime à ongles étant, justement, une lime à ongles.

J'avais déjà réussi à faire passer mon trousseau de clés avec canif aux contrôles de sécurité il y a de ça quelques années en le dissimulant profondément dans mon sac de cabine, mais la semaine dernière on me l'a saisi à l'aéroport Narita de Tokyo, en route vers mon vol à Hokkaido. Triste fin pour un outil qui m'a rendu de précieux services au fil des années.

Pour le remplacer, j'avais prévu de me procurer un véritable canif suisse, format miniature, doté celui-là d'une lame digne de ce nom. Ce que je n'avais pas prévu, c'était que l'acquisition allait se faire non pas après mais avant mon retour à Tokyo.

Julien, si tu l'as acheté à Hokkaido, c'est que t'attendaient à nouveau les contrôles de sécurité, que je vous entends clamer. Et puisque la photo en début d'entrée montre ce qui semble être ce canif suisse nouvellement acquis, c'est que tu es parvenu à les passer, ces contrôles. Mais comment diable as-tu fait?

C'est justement ce que j'allais vous expliquer avant que vous ne m'interrompiez. Ah, désolé l'impudence, Julien. Raconte-nous ton anecdote. Maintenant on se tait.

Merci. Je racontais hier qu'un altruiste à la bagnole rouge avait eu la bonté de m'emmener jusqu'à l'aéroport. Son vol étant près de quatre heures plus tôt que le mien, après qu'il m'eut déposé je me demandais comment meubler mon temps. J'avais remarqué que l'aéroport était doté d'un onsen, mais peu ragoûté tant par son prix élevé que par la présence probable de touristes australiens en abondance, je me suis mis à chercher des solutions de rechange à proximité de l'aéroport. L'onsen le plus près se trouvait à trois kilomètres de la station Chitose, elle-même à deux stations de l'aéroport. J'avais décidé d'y aller.

Sur le chemin du retour, après m'y être lavé et détendu, j'ai remarqué une de ces boutiques d'occasion que j'adore, dénommées recycle shop (リサイクルショップ). En y farfouillant, je suis tombé sur une pleine boîte de canifs suisses miniatures. Il devait bien y en avoir une quarantaine, presque tous du même modèle que celui dont la photo coiffe la présence entrée. J'ai tout de suite pensé que la tenancière devait jouir de bons contacts au sein de l'aéroport, où ces canifs sont probablement confisqués par douzaines chaque jour. En tous cas, l'abondance contribuait au bas prix : 180 yens, deux dollars à peine.

J'ai passé la boîte au peigne fin, puis pour maximiser mes chances de réussite j'en ai acheté deux presque neufs, le premier destiné au fond du sac à dos, l'autre à la petite boîte de métal, dont le canif habituel avait été laissé chez moi. Au mieux les deux canifs allaient se rendre à Tokyo, au pire j'allais devoir les abandonner à Hokkaido, pour une perte de quatre dollars. J'étais amusé par la possibilité qu'ils finissent dans la même boîte, et il suffisait que l'un deux passe inaperçu pour me satisfaire. Et même dans le pire scénario j'étais désormais propriétaire d'un superbe décapsuleur, acheté dans le même élan.


(Après avoir franchi le détecteur métal, à l'aéroport.)
- Monsieur, puis-je inspecter votre sac? L'agente d'immigration semble presque embarrassée par sa requête.

- Bien sûr. Y a-t-il un problème?

- Le scanner nous a permis de détecter ce qui ressemble à un petit canif. 

- Petit canif? (Je fais l'innocent). Vraiment? Laissez-moi y penser. Ah oui! J'ai complètement oublié celui accroché à mon porte-clés. Désolé! Il est profondément enfoui dans le sac. Laissez-moi vous le sortir.

Je fouille avec un peu de difficulté car il est effectivement profond. Je me rends compte qu'elle n'a pas mentionné mon sac à bandoulière, qui contient l'autre objet interdit. Je retiens l'envie de sourire, de peur de me le faire également confisquer.

Je lui rends le canif. Semblant sincèrement désolée de devoir me le saisir, elle m'offre même d'aller l'enregistrer au comptoir de la compagnie aérienne. La vérité consisterait à lui dire que je me fous de perdre un couteau à deux dollars puisque j'en ai un identique caché ailleurs, mais d'un air faussement résigné je lui explique plutôt que le départ imminent de mon vol ne me permet pas pareil luxe, et que puisque c'est de ma faute, à l'avenir il m'incombera de faire plus attention.

Elle me remercie pour ma patience et me souhaite bon vol. En me dirigeant vers la porte d'embarquement, j'ai envie de sortir le canif rescapé, preuve tangible de mon succès, mais je juge bon d'attendre d'être arrivé à Tokyo. Le canif n'est pas sorti du bois, que je pense, cette fois sans m'empêcher de sourire.

Hokkaido jour 5 et fin – Aéroporté

Hokkaidō la nuit

 Je me suis rendu compte que mon entrée d'hier annonçant la fin de mon voyage, rédigée tard et dans laquelle je me contentais d'une photo préalablement publiée sur les réseaux sociaux, en prenant toutefois la peine d'en engraisser la légende, aurait plutôt dû avoir pour objet ma dernière journée de voyage. Rendons-lui justice, à elle qui a su couronner une escapade comme il fait bon s'en accorder à l'occasion.

Je sors en catastrophe de l'hôtel. Ma nuit revenait à un peu moins de quatre mille yens, mais l'aubergiste se mérite un pourboire de deux cents yens environ, trop pressé que je suis à attendre qu'il m'apporte la monnaie. Même en vacances, j'ai tendance d'une part à sousestimer le rythme d'écoulement du temps, et d'autre part à surestimer ma productivité dans l'accomplissement des tâches.

J'accours vers la gare, sachant très bien que m'attend ainsi une surchauffe corporelle une fois installé, haletant, dans le train. Je finis par prendre place quatre ou trois minutes avant le départ, une marge heureusement plus importance que mes appréhensions.

J'ai en main un billet qui doit m'apporter à la gare Kanayama, à moins d'une trentaine de minutes au sud, dernier point de contact entre la ligne Nemuro, qui ensuite diverge vers le nord-est, s'éloignant ainsi de l'aéroport Shin-Chitosé, et la route nationale 237.

Eau courante en sus

Déposé à cette gare, je commence par me brosser les dents, tant pressé par le temps que je n'ai pu le faire à l'hôtel. C'est en constatant qu'il n'y a pas d'eau courante pour me rincer la bouche que je comprends dans quel trou perdu je suis tombé. Les seules personnes que j'y vois sont trois employés des chemins de fer, qui s'en vont déblayer un quelconque tronçon peu après mon arrivée. En les observant s'éloigner, je ne peux m'empêcher de penser à Blanche-Neige et les sept nains. Lequel d'entre eux est Grincheux?


Je me dirige vers l'emplacement d'autostop prévu, tout près. Je remarque pour la première fois le silence qui règne. Les véhicules, il n'y en a pas. Je gravis le banc de neige s'érigeant au coin de la route nationale et du petit chemin menant à la gare. De l'autre côté de la rue, un homme s'affaire à pelleter, d'abord le toit de sa remise, puis celui de sa maison. Une dame que je devine être sa mère vient l'épauler peu de temps après.

Mère et fils, ennemis de la neige

Je sens qu'ils m'observent, intrigués par l'énergumène juché en bord de route tenant de ses mains gantées un bout de carton. Au bout d'un moment, on se me met à discuter, et j'en profite pour leur clarifier ma raison d'être dans leur patelin. Je pousse ensuite l'audace jusqu'à demander au fils de me prendre un photo, ce qu'il ne fait pas très bien. J'ai beau leur offrir de l'aide dans le pelletage, ils m'assurent qu'ils pourront s'en charger fin seuls.

Si j'ai le temps de jaser et me faire photographier, c'est qu'elle est désertée, cette nationale. Un véhicule passe aux trois minutes à peine, et le plus souvent il s'agit de camionneurs, qui n'ont pas tendance à donner des coups de pouce aux pouceux.

Je me rends aussi compte qu'il fait plus froid que les autres jours, ou du moins telle est mon impression. Bien vite je ne sens plus mes pieds. Les mains aussi s'engourdissent, mais pas autant car entre chaque véhicule j'insère ma pancarte dans une poche de manteau et me réchauffe les doigts.

Après quarante-cinq minutes, je doute. Il est environ onze heures, ce qui me laisse une bonne marge avant mon vol de dix-huit heures trente, mais j'imagine des scénarios d'hypothermie et de vol manqué, rien de très sérieux mais assez pour m'occuper l'esprit.

Je me mets à la recherche d'autres options de transport. La plus simple consiste à monter à bord du prochain train vers le sud, quarante-cinq minutes plus tard, et de transférer à deux reprises pour arriver à l'aéroport vers quinze heures, au coût de 7000 yens, soit presque autant que j'ai dépensé en transport dans les quatre journées précédentes de mon voyage.

Je décide donc de poursuivre l'autostop, quitte à monter à bord du prochain train. Dix minutes plus tard, mon sauveur au bolide rouge me klaxonne qu'il vient d'arrêter. Je vais à sa rencontre à toute vitesse. Un vol vers Nagoya l'attend en milieu d'après-midi. Il m'invite à monter à bord. Essoufflé et les pieds gelés, je lui souris. Sur le pouce comme dans la vie, il suffit parfois d'une personne pour que tourne le vent.


vendredi 22 février 2013

Fini le périple


De retour au bercail, où je trouve que Tokyo manque de neige. Quelle belle escapade de pouce hivernal à Hokkaido. À refaire!

Viendra sous peu un récapitulatif du voyage, assorti de photos que je n'ai pas encore publiées, et de leçons tirées en vue des prochaines escapades du genre, en hiver comme par temps plus clément. Ce n'est que partie remise, et j'ai hâte de m'y remettre, en tout et partie!

jeudi 21 février 2013

Hokkaido jour 4 – Asahikawa

Content d'avoir été conduit par un expert du volant.

Comme chaque jour depuis le début de ce voyage, je suis pressé par le temps. Il est maintenant 8h42, et j'ai un train à 9h20. Entre-temps, je dois rédiger mon entrée quotidienne en la saupoudrant de quelques photos, finir mes bagages, régler l'addition de ma nuit à l'hôtel, me rendre à la gare, acheter mon billet et monter à bord du train qui me rapprochera d'un bon endroit pour faire du pouce jusqu'à l'aéroport, où m'attend l'avion qui me ramènera à Tokyo, à 18h30 ce soir.

Alors, laissons la pression me dicter la présente entrée.

Merci train, à présent le pouce.


Si avant-hier ne s'était pas très bien déroulé, c'était tout le contraire hier. Depuis Abashiri où j'avais passé la nuit, j'ai pris un train vers l'ouest jusqu'à Nishiyubeshide, dernière station avant que la ligne et la route que je voulais emprunter se séparent. Puisqu'hier était l'avant-dernière journée de mon court périple (et que donc aujourd'hui en est la dernière journée, diantre!), j'ai jugé bon d'écrire directement ma destination, Asahikawa, plutôt que l'habituel je parle japonais.

La stratégie a porté ses fruits presque sur-le-champ (ou sur-la-route): en moins de dix minutes monsieur Watanabe, de retour d'un voyage d'affaire, me faisait monter à bord.

Là où nous allions, le pneu à chaîne était de rigueur


J'ai été cueilli dans une région relativement plane, mais j'avais perçu en regardant la carte que des montagnes nous attendaient. Le terrain est effectivement devenu de plus en plus escarpé, culminant au col Sekihokutōge, de plus d'un kilomètre d'altitude. Malgré la neige et la poudrerie, Monsieur Watanabe et son bolide formaient un duo expert de la conduite hivernale.

Col au magnifique panorama enneigé, d'une altitude de 1 050 mètres.

Déposé ainsi avant les coups de seize heures à la station Asahikawa, le problème classique du pouceux s'est présenté. J'ai atteint ma destination. Il est encore tôt. Je ne peux que poursuivre ma route. Le temps de manger et boire dans un restaurant de la gare, ma destination suivante était décidée : Furano, ville aux nombreuses stations de ski, au sud d'Asahikawa et donc en direction de l'aéroport Shin-Chitosé pour mon vol demain, et accessible à bon prix au moyen d'une seule ligne de train.

Arrivé en un peu plus d'une heure, après m'être installé dans une auberge près de la gare, d'où j'écris ces lignes en regardant nerveusement l'heure, j'ai décidé d'aller me balader, histoire de profiter une dernière soirée de la belle neige d'Hokkaido. Ce faisant, j'ai rencontré deux sympathiques Australiens comme il y en des masses l'hiver en ces lieux, et ensemble nous avons célébré la fin de mon périple, en quelque sorte. Sur ce, je dois filer, devant m'acquitter d'une certaine fonction aéroportuaire de retour au bercail... 

mercredi 20 février 2013

Hokkaido jour 3 – Pas rondement

Abashiri, côte nord d'Hokkaido. Plus au nord et nous sommes en Russie. Je suis à environ cent cinquante kilomètres de Kushiro, où j'étais hier matin (mercredi), ce qui correspond à la distance parcourue il y a deux jours, de Shintoku à Kushiro. La comparaison s'arrête toutefois là, car s'il m'eut fallu que deux chauffeurs pour me rendre à Kushiro, mon parcours plus pénible jusqu'à ma présente destination a nécessité trois trains et un seul conducteur, qui ne m'a avancé que d'une vingtaine de kilomètres. Le pouce réserve toutes sortes de surprises, bonnes comme mauvaises.

Messieurs Burkholder et Jarvis, dépassant d'une tête leurs coéquipiers chinois

À Kushiro la soirée précédente, le Dragon de Shanghai aux trois joueurs canadiens s'était incliné par le compte de 5-3. J'aurais pu insérer "malheureusement" dans la précédente phrase, mais puisque l'équipe n'a pas connu la victoire depuis trois ou quatre saisons, "sans surprise" aurait probablement été plus juste.

J'espérais pouvoir passer quelques heures avec les gars après le match, le temps d'un bon souper peut-être arrosé de quelques verres, mais ceux-ci m'ont plutôt indiqué qu'ils allaient manger en équipe, pour ensuite se coucher tôt. Ils m'ont invité le lendemain vers dix heures à déjeuner au port en mangeant le poisson le plus frais qui soit, mais déchiré entre cette offre et mes plans de départ matinal, j'ai décliné.


Peu après neuf heures, hier, j'ai donc pris un train de Kushiro à Toro, à trente minutes au nord. À la station Toro, j'ai pris une photo pour le décompte du mariage de mon ami Éric. J'avais prévu tenir la pancarte en me faisant photographier par l'employé de la gare, mais la photo d'ajustement des réglages, prise alors que lui la tenait, s'est avérée bien meilleure. C'est qu'il est photogénique l'employé ferroviaire!

 Le pouceux aguerri aux pouces engourdis

Hier ne s'est donc pas déroulé aussi rondement que je l'aurais espéré, ce qui ne veut pas dire pour autant que le plaisir n'était pas au rendez-vous. J'ai pu dîner dans un sympathique restaurant en bord de rivière à Shibecha, me faire conduire jusqu'à sa station de cette ville suivant l'abandon du pouce après deux heures infructueuses à me les geler, prendre des photos dans l'un de ces miroirs convexes qui me fascinent, celui-là aux bosselures à l'effet surréel, admirer un magnifique coucher de soleil hivernal, et finalement me détendre à l'onsen, en attendant le dernier train en direction d'Abashiri.

Voyons voir à présent ce qu'aujourd'hui me réserve!


mardi 19 février 2013

Hokkaido jour 2 – Shintokushiro

Julien, nous avons réservé un billet à ton nom et serons heureux de te voir après la partie. À bientôt!

Le courriel de Rob Jarvis me fait plaisir. Ma raison d'être à Kushiro est d'assister au match opposant son équipe, le Dragon de Shanghai, aux Cranes, l'équipe locale (la grue blanche étant l'oiseau emblématique de la ville). Je les avais rencontrés, lui et deux autres joueurs canadiens, Ryan et Matthew, l'an dernier à Shanghai. Il s'agit en quelque sorte de retrouvailles.
Une bonne distance me sépare toutefois de l'aréna. Mais, Julien, comment faire pour t'y rendre à temps?, me demandez-vous en choeur, inquiétés par mon sort. Et bien, figurez-vous donc qu'il suffit de se poster, bien en évidence, le long de la route menant à sa destination, en choisissant soigneusement l'emplacement de manière à permettre aux conducteurs d'immobiliser leur véhicule sans danger, et de brandir une pancarte confirmant sa capacité à communiquer dans leur langue. J'ajouterai que les bancs de neige qui prévalent actuellement en ces lieux constituent d'excellents piédestaux pour accroître la portée de son message.

Hier matin depuis Shintoku, donc, je m'installe devant un dépanneur le long de la route nationale 38. Il fait beau, la température est confortable. Trois minutes suffisent à ma rencontre avec le premier chauffeur bienfaiteur. Parti quelques heures plus tôt d'Asahikawa, monsieur Suzuki, qui est gestionnaire de parcours de mini-putt, est en route vers une réunion à Obihiro, en plein sur ma route, à une quarantaine de kilomètres.

Après un parcours vite passé, car animé des bonnes conversations, il me dépose devant une station service de la même route nationale. Je monte sur un nouveau banc de neige, un peu plus sale celui-là car Obihiro est une ville alors que Shintoku était un petit village, et exhibe ma pancarte à nouveau. À moment donné, je lève le regard des voitures en file depuis le feu rouge et aperçois ce qui me semble Québec avec un K. Fausse alerte, j'avais affaire à un Xebec.





Au bout de peut-être vingt-cinq minutes, un conducteur entre dans l'aire de la station service et me demande où je vais. Il me confirme ensuite que lui aussi va à Kushiro. 

À nouveau, les nombreux sujets discutés font fuir le temps (il m'a d'ailleurs enseigné un jeu de mots rigolo), si bien qu'en moins de deux, je suis devant la station centrale de Kushiro. Il est alors 15h40, presque trois heures avant le début du match. Parti à 11h10 environ, j'ai donc parcouru 150 km en 4h30, pour une moyenne de près de 35 km/h. Pas mal du tout. J'ai amplement le temps de me trouver un hôtel, d'y déposer quelques trucs, et même de marcher jusqu'à l'aréna, plutôt qu'emprunter un taxi. On a vu pire dans l'histoire de ceux qui préfèrent le pouce comme moyen de locomotion.

Je traiterai de la joute en tant que telle dans une autre entrée. Le temps presse, car contrairement à hier, ce matin je compte d'abord sortir de la ville en train, les conducteurs dans les centrevilles n'allant que peu loin en grande majorité, et puisque je ne suis pas à Tokyo mais bien en région éloignée, si je manque mon train de 9h05, je devrai attendre plus de deux heures pour monter à bord du prochain. Le pouceux à l'objectif quotidien ambitieux ne peut se permettre pareil retard.

Je vous laisse toutefois avec un croquis du panneau de la rue au nom le plus long qu'il m'ait été donné de voir jusqu'ici au Japon, qui signifie littéralement Avenue du district du port sud devant la station. Joli et poétique, n'est-ce pas?



lundi 18 février 2013

Hokkaido jour 1 – La triche

Dans la cabine, on nous fait attendre. Nous sommes tout près de la porte de débarquement, mais l'avion précédant doit d'abord nous céder la place. Depuis mon siège d'allée, j'aperçois le spectacle blanc, dehors. Il neige, abondamment.

L'attente n'est pas si déplaisante, car Fumi et moi pouvons ainsi poursuivre notre conversation, amorcée quelques minutes avant l'atterrissage. Vivant en région tokyoïte, comme tant de jeunes issus d'Hokkaido et autres régions éloignées, elle est de passage pour visiter famille et amis. Sa ville d'origine, Obihiro, étant sur mon parcours projeté, nous évoquons à la blague la possibilité qu'elle m'y serve de guide.

La porte ouverte, les passagers se mettent à sortir. La vue depuis les grandes fenêtres de l'aéroport, autrement plus panoramique que depuis mon hublot, est sans équivoque. Ça tombe du ciel.

Voilà qui est de mauvaise augure pour mes grands projets de pouce sur les grands chemins!

Après avoir fait le plein de calories pour le froid qui m'attend, conçu mon écriteau Je parle japonais (日本語が話せます) avec au verso Kushiro (釧路), et inséré des sachets chauffants dans mes bottes, je sors peu après quatorze heures, à la rencontre de cette tempête, à la recherche de la route qui me mènera à bon port. Il ne s'agit pas seulement d'une expression imagée : Kushiro doit son emplacement au fait que son port reste libre de glace en hiver, un atout indéniable dans ces contrées septentrionales.

Mais où sont les trottoirs? C'est la première pensée qui me traverse l'esprit, en regardant dans la direction indiquée par le préposé au stationnement auquel j'avais demandé le chemin. Les autorités aéroportuaires n'ont apparemment pas songé qu'en hiver une personne puisse décider de sortir de l'aéroport à pied plutôt qu'en véhicule ou train. Je me mets donc à marcher en bordure de route, vers le long tunnel passant sous les pistes de l'aéroport, mais au bout d'une centaine de mètres, je dois évoluer dans un épais couvert de neige, un peu effrayé par la procession d'autocars chargés de touristes skieurs.


Tunnel, ton absence de neige me réjouit

Mes bottes s'enfoncent, ma marche est pénible. Et puisqu'il ne fait que quelques degrés sous zéro, la neige qui tombe est fondante. Je m'amuse à penser que j'aurais dû m'apporter des raquettes en babiche, et une ceinture fléchée, pourquoi pas. 

Au bout d'une quinzaine de minutes de lente progression, j'atteins un coin de rue favorable. Perché sur un congère à la hauteur du feu de circulation, je déploie ma pancarte et mon sourire. Le regard surpris de nombreux chauffeurs me confirme que je constitue un spectacle incongru, étrange épouvantail dans la neige. 

Au bout de quinze minutes, peut-être vingt, une dame m'offre de monter à bord de sa camionnette. J'accepte sur-le-champ, pratiquement sans discussion préalable quant à nos destinations respectives. J'ai l'impression qu'elle me fait signe de mettre mes bagages derrière puis de prendre place à ses côtés, mais le petit chien qui me surprend en ouvrant la portière avant me confirme que moi aussi j'étais destiné à la banquette arrière.

Elle m'indique qu'elle se rend à Sapporo, à l'opposé de ma destination. Présumant qu'elle s'y rendra par l'autoroute, à plusieurs kilomètres au nord, je lui demande si elle peut m'y déposer, juste avant la bretelle d'accès, pour me permettre de faire du pouce en direction inverse. Elle me répond qu'elle comptait plutôt emprunter de petites routes. Me voilà mal parti.


Madame Komura, gentille, mais aussi désorienté que moi

Après une quarantaine de minutes à aller dans tous les sens, je lui demande de simplement me déposer à la station la plus proche, Megumino, à partir de laquelle ma destination est désormais plus loin encore. Je devrai revenir sur mes pas, mais qu'importe. Merci madame Komura pour votre gentillesse. Vous aurez à tout jamais l'honneur d'avoir été la première personne d'Hokkaido à me cueillir sur le pouce.

 Bourrasque en pleine face par train plein d'entrain

Il ne reste que quelques heures avant la tombée du jour, alors je décide de tricher un peu en optant pour les trains locaux, plus rapides et fiables, quoique dépourvus d'aventure. Je me dis que demain, qui s'annonce dégagé, devrait mieux se dérouler. 

J'écris ces lignes depuis un sympathique ryokan de Shintoku, à mi-chemin de mon objectif, après une bonne nuit de sommeil. Il est dix heures dépassées, un beau soleil éclaire ma chambre, je suis impatient de sortir. Pancarte en main, laissez-moi marcher jusqu'à la route nationale 38, tout près, à la rencontre de gentils chauffards qui me permettront de rejoindre l'aréna de Kushiro, à cent cinquante kilomètres, avant les coups de dix-neuf heures. J'ai une joute de hockey au menu, après tout. Go Shanghai Go!

dimanche 17 février 2013

Plein nord

Enfin je m'envole pour Hokkaido, tout au nord du Japon, pour une escapade de cinq jours qui promet. Et puisqu'il s'agira de ma première expérience de pouce hivernal, le gros chandail de laine acheté hier au surplus d'armée devrait me tenir au chaud. Merci, force constabulaire de l'État allemand de Nordrhein-Westfalen!


samedi 16 février 2013

Climatokyologie

Mais qui peut bien cogner à ma porte à cette heure? Attendez un instant que je vienne vous ouvrir.



Ah, c'est toi, Tokyo! Dis donc, t'es pas des plus plaisants avec ta température ressentie de moins cinq Celsius! Je me trompe ou bien t'es pas mal en deçà de tes normales de saison?

Tant qu'à t'avoir ici en visite, laisse-moi te dire qu'aujourd'hui t'as pas été du monde. En allant au travail ce matin et en en revenant il y a quelques heures, tes violentes bourrasques avaient le don de me faire suer et sacrer quand j'avais le malheur de les subir de face. J'ai trouvé particulièrement vicieuse celle qui s'est acharnée contre moi en pleine ascension de la côte la plus abrupte de mon parcours de vélo. Dois-je te rappeler qu'elle est pas du gâteau en partant, cette côte? C'était pas bin fin, Tokyo. Regarde-toi avec tes 39 km/h; t'es encore tout énervé malgré l'heure avancée. Du calme, mon vieux. Respire par le nez. On inspire... on expire. C'est déjà mieux.

Qu'est-ce que tu dis? Tu as agi de la sorte pour me préparer à quoi? De quoi tu parles, mon périple imminent?!

Ah! oui, c'est vrai! Lundi je m'envole en direction d'Hokkaido pour une escapade de cinq jours. T'as bin raison. J'avais presque oublié! Du typique Julien : les vacances arrivent toujours trop vite à mon goût.

Mais comment le fait d'avoir été de mauvais poil peut-il bien me préparer à quoi que ce soit? Tu veux que j'aille consulter ton pote Kushiro, domicile des Nippon Paper Cranes, car j'irai à sa rencontre sur le pouce? C'est quoi cette foutaise?

Bon, bon, d'accord, je vais aller le consulter, ton chumé Kushiro, si ça peut te faire plaisir, mais je t'avoue que je suis pas convaincu.


Ok ok, Tokyo. Excuse-moi de m'être emporté. T'avais bin raison de vouloir me préparer. Kushiro est glacial. J'apprécie tes bonnes intentions, crois-moi. La prochaine fois que tu veux m'acclimater, par exemple cet été avec de l'écrasante chaleur humide en vue d'un éventuel voyage aux Philippines ou en Malaisie, peux-tu juste me prévenir un peu d'avance? Merci mon Tokyo. Je savais que tu comprendrais.

vendredi 15 février 2013

Trois tranches


Par grands vents, ayant tendance à chuter, arrivé à bon port le vélo aura besoin d'amarres. La tâche n'est pas toujours mince, mais avec un peu de chance, le mouillage sera doté de chaînes. Son navire bien ancré, l'esprit tranquille le capitaine ira trinquer au club des officiers.


Désirant amorcer ses matinées et agrémenter ses après-midis de la boisson noire la plus fraîche qui soit, le caféïnomane connaisseur accepte qu'il faille moudre. Refusant la facilité automatique de l'électricité, il lui préfère l'huile à coude, plus laborieuse. Son café moulu par moult rotations n'en est que meilleure délectation.

L'enseignant plutôt visuel qu'auditif aura tendance à couvrir d'explications le tableau de la classe, prolongement plane de sa nature verbomotrice. S'il entretenait de quelconques doutes par rapport à l'appréciation de son style didactique, l'enthousiasme des élèves dans l'effacement de ses gribouillis le confortera dans son esprit.

mercredi 13 février 2013

Transport

Toi le jeune qui es promis à une vie ponctuée de nombreux déménagements, laisse l'expérience te livrer ses secrets. C'est à force d'erreurs que j'ai appris, vieil homme trop déménagé que je suis, et à toi, le jeune, je te confère ma sagesse en héritage.

À ton âge, j'aurais aimé qu'un aîné me transmettre son savoir-faire comme je le fais aujourd'hui, en bon samaritain, mais dans mon temps, fallait trimer dur pour gagner son pain quotidien, pis on se faisait dire que l'ouvrage formait la jeunesse. C'est pu de même astheure, hein? Pu pantoute de même.

Le voilà donc dévoilé, mon truc à tout casser pour rien casser : la meilleure protection pour le transport de verres n'est ni le papier journal, ni le styromousse, mais bien les bas. Suffit de chausser son récipient d'une chaussette, et dans ce cocon de coton il sera à l'abri des bris, pour une verre survivant, plutôt qu'une chope déwrenchée.

Pas besoin de me remercier, le jeune. Fais juste m'apporter trois quatre verres pis autant de bas. Je vais te montrer la technique d'insertion, que j'ai peaufinée au fil des déménagements qui m'ont ponctué la vie...


mardi 12 février 2013

Clin deuil

On se procure ou on reçoit des objets utiles, ils nous enrichissent la vie. Ils se cassent ou on les brise, la vie s'en trouve appauvrie. Étude de cas.

L'an dernier, à mon retour de voyage à Kyushu, on m'avait invité à un festival de bière germanique au parc Hibiya. Divers brasseurs s'y trouvaient, la plupart allemands mais certains japonais, aux bières plutôt à l'allemande.

Pour s'humecter le gosier, on devait d'abord mettre la main sur la chope ou le verre d'un exposant, moyennant mille yens de dépôt. Après s'être essuyé les lèvres sur la manche une dernière fois, on pouvait ou bien rendre le récipient pour récupérer son dépôt, ou bien le garder en souvenir. Belle et pratique, ma chope s'était mérité la postérité à mes côtés.

Larme à l’œil et voix vacillante, non sans profonde tristesse je dois annoncer que la chope n'est plus, ou plutôt qu'elle est deux. J'aimerais que deux demi-chopes en valent une intacte, mais je dois revenir sur verre : la chope est plus grande que la somme de ses parties. Ce n'est pas très jojo, mais elle a su braver son trépas, au bout d'une trépidante vie à m'abreuver.

Toi et moi, nous avons eu d'occasionnelles frictions, inévitables dans toute relation homme-verre, mais les bons moments en ta compagnie resteront à jamais. Adieu ma belle!

La timbrée

Je passe au bureau de poste du quartier. Aussitôt entré, je me sens agressé par le grésillement des tubes fluorescents, défectueux. Ils me confèrent un mal de tête instantané, et je m'étonne que le problème n'ait pas été réglé depuis ma dernière visite. Je me dis qu'au fond, si rien n'a changé, c'est qu'eux n'en voient pas de problème. Mais comment font-ils pour supporter ce calvaire?

Je me présente au kiosque qui est libre. Dans la main, quatre enveloppes contenant des cartes de base-ball, destinées à ceux qui sauront les apprécier. Je demande à la dame en poste de m'indiquer le prix d'expédition le moins cher. Sans trop en comprendre la raison, je perçois une certaine animosité de sa part, quoique voilée. C'est peut-être l'éclairage qu'il l'affecte, elle aussi. Je lui en parle, en pointant les coupables au plafond. Elle ne semble pas trop s'en soucier.

Elle m'indique que les frais sont de 110 yens pour chacune des trois petites enveloppes, et 260 yens pour celle un peu plus grande. M'attendant à payer moins cher, je lui exprime mon étonnement. Elle reste campée devant moi, ne dit rien. Je me résigne, calcule la valeur des timbres que j'ai déjà en ma possession, puis lui demande de me vendre quatre timbres de dix yens et quatre autres de cinquante.

Je cède ma place au prochain client et vais coller les timbres à la table prévue à cet effet, posée contre la vitrine. La lumière du jour qui m'éclaire alors est autrement plus apaisante.

Je retourne au kiosque pour confirmer que tout est en règle. La dame s'horrifie de voir que certains des timbres, ceux que j'ai apportés de chez moi, ont des bordures légèrement abîmées. Qu'importe que les bouts manquants ne font pas deux millimètres, elle m'avertit que le centre de tri postal risque de m'en refuser l'envoi. Un brin froissé, je lui réponds qu'au pire on me renverra les enveloppes aux timbres inadmissibles.

Dans ce qui semble le point final de notre interaction brève mais acrimonieuse, elle tamponne par avion sur chacune des enveloppes. 
- Attendez une minute, madame, par avion? Ne serait-ce pas moins cher par bateau?
- La différence est négligeable.
- N'empêche, pouvez-vous vérifier?

Elle pose une des petites enveloppes sur la balance.

- Ça reviendrait à 90 yens.

- Ma p'tite dame, qu'importe que la différence soit d'un ou mille yens, je vous ai clairement demandé de m'indiquer l'option la moins cher, ce que vous n'avez pas fait. Pour aujourd'hui ça ira, mais la prochaine fois que je voudrai connaître les frais les moins chers, je m'attendrai à ce qu'on me les indique, les frais les moins chers.
Sur ces paroles, je quitte le bureau poste. Aussitôt sorti, je me permets quelques jurons bien placés, en québécois bien sûr, ayant pour objet cette incompétente pas fine. Soulagé, j'enfourche mon vélo et me mets à pédaler en direction du gym. Sur mon chemin se dresse un autre bureau poste, qui par défaut vient de se mériter un nouveau client, lequel n'a qu'une seule requête, toute simple : être dispensé d'éclairage qui donne la rage.

dimanche 10 février 2013

Sainte-Trinité

Lundi 11 février 2013. Il est 9h05. Je suis sorti du lit il y a une vingtaine de minutes. Dehors, beau ciel bleu. Aujourd'hui c'est le kenkoku kinenbi, un férié. La journée promet d'être glorieuse.

Il y a certes d'abord quelques corvées à abattre. Je dois apporter les dernières touches à une traduction, je souhaite faire un peu de ménage. En les achevant avant que s'amorce le plaisir, toutefois, je partirai l'esprit tranquille.

Et sous quelle forme se manifestera le plaisir, que vous me demanderez. Il se décline toujours en mille et un visages, que je répondrai en souriant, pour ensuite donner dans le détail.

Il y aura d'abord, sur les coups de midi, l'exploration photographique de l'équivalent du biodôme de Montréal, où la macrophotographie sera à l'honneur. Il s'agira de ma première participation à cet événement récurrent organisé par un couple australien. Ceux-ci, aux deux mois environ, invitent les amateurs de photographie à des endroits d'intérêt de Tokyo pour s'exercer l'objectif. Et puisqu'il fait beau et j'aime mon vélo, les treize kilomètres jusqu'à destination, Shinkiba, me réjouissent, d'autant plus que je ne suis jamais allé dans ce coin de la ville.

Ensuite m'attend la pendaison de crémaillère de Christophe de France, rencontré quelques semaines auparavant. Je lui avais acheté une grande bouteille de bière belge comme cadeau d'emménagement, mais je vais plutôt lui donner un couteau à légumes au tranchant franchement effrayant, acheté le même jour que mon couteau de cuisine tout aussi affûté. De fabrication japonaise, et son manche et son fourreau sont de bois sculptés. Une belle pièce qui saura lui plaire, à lui cuistot expert, si je me fie à sa nationalité. J'espère seulement qu'il n'est pas lecteur assidu du cambiste unijambiste, auquel cas adieu la surprise.

Son logis est presque plein nord depuis le biodôme. Ajoutons à cela le segment de retour à ma tanière, et mon parcours prendra depuis les airs une forme triangulaire, d'une trentaine de kilomètres. Une journée glorieuse, oui.

samedi 9 février 2013

La mère dans le sac

Oh, tu es allé au Bangladesh! [Inusitée, la destination de voyage de l'élève Koichiro m'étonne. Je veux en savoir davantage. Le filon promet d'être riche]. Y es-tu allé en vacances ou pour affaires?
Ni un ni l'autre. J'y étais en voyage d'excursion.
En voyage d'excursion? Que veux-tu dire par là?
Connais-tu Eriko Yamaguchi? Elle est designer de sacs à main. J'adore ses créations. J'ai donc pris part à un voyage qu'elle organisait pour visiter sa fabrique, située à Dhaka, la capitale.
 Ah bon, intéressant. [Je ne sais pas trop quoi dire ni penser.] Tu es le premier élève qui me fait part d'un voyage de ce genre.

À présent, Koichiro, parlons de tes projets de voyage. Cette année, prévois-tu de voyager à l'intérieur du Japon, et dans l'affirmative, où iras-tu?
En mars ou avril, j'aimerais me rendre dans la préfecture de Fukushima. 
Que comptes-tu faire là-bas?
Je veux retourner au temple Takano, que j'avais visité l'an dernier.
S'agit-il d'un temple réputé?
Non. En fait, il est tout à fait mineur.
Vraiment? Pourquoi donc souhaites-tu y retourner?
Connais-tu Hideyo Noguchi? C'était un bactériologiste de renom. Il apparaît sur les billets de mille yens. Sa vie me passionne. 
Je ne le connais pas, mais son portrait m'est familier; mon portefeuille en contient probablement quelques exemplaires. Mais quel est le lien entre cet individu et le temple Takano?
Sa mère y allait souvent prier pour son fils.  
[La raison invoquée est trop bizarre; le lien, trop ténu. Plutôt qu'approfondir le sujet par une succession de questions, mieux vaut passer à un autre appel]. Tu veux visiter à nouveau un temple quelconque parce qu'il servait de lieu de culte à la mère d'un personnage historique que tu admires. Ok... 

Tournons-nous à présent vers l'étranger, Koichiro. Où souhaiterais-tu aller?
En Suisse.
Bien! [Enfin, de retour en territoire normal!]. Qu'est-ce qui te donne envie de visiter la Suisse?
Connais-tu les sacs à main Freitag? Ils sont conçus à partir de matières recyclées [Il me montre le sac qu'il a apporté en classe, m'explique que la toile était jadis une bâche de camion à benne, et les courroies, d'anciennes ceintures de sécurité]. Chaque sac est unique. Je les adore. Je suis même membre du fan club.
Je vois. Je présume que ce bagagiste est d'origine suisse.
Exactement.
Et j'imagine que tu souhaites en visiter le siège social. Dans quelle ville est-il situé, d'ailleurs? Genève, Zürich, Berne?
Aucune idée. Je sais seulement qu'il s'agit d'une société suisse. 
[Retiré sur trois prises, j'abandonne. Le filon n'était que pyrite. Je lui sers un grand sourire béat.]  

Je comprends. Plutôt que tes projets de voyage, Koichiro, abordons ton horaire de la semaine à venir...

jeudi 7 février 2013

Course, balle et amitié

Je sors faire mon jogging hebdomadaire. Il n'est pas treize heures, beaucoup plus tôt que d'habitude. En fait, j'oublie à quand remonte ma dernière course de jour. Il fait soleil, j'ai du temps, je prends mon temps. Aujourd'hui je me rougis le visage.

Partout où j'ai habité depuis que j'ai l'habitude de faire de la course à pied, le même dilemme finit par se forger. Puisque fondamentalement mon logis fait à la fois office de point de départ et de destination de chaque course, et que les environs accessibles à distance de course depuis ce logis ne changent que très lentement, j'en viens à penser que j'ai exploité tous les filons majeurs, que mes courses subséquentes ne sont que variantes de lopins auparavant défrichés. Pas aujourd'hui. En cette belle journée, je découvre de nouveaux recoins.

Tout commence une quinzaine de minutes après le départ. En me dirigeant vers la gare Ikebukuro au nord-ouest, comme je l'ai fait quelques fois par le passé, j'aperçois la tour Sunshine 60 qui est également visible depuis le balcon chez moi. Elle n'est pas qu'une grande tour parmi d'autres. Son ouverture en 1978 a marqué le début de l'ère des gratte-ciels à Tokyo, dont l'activité sismique avait jusqu'alors découragé les édifications en hauteur. Je décide d'aller à la rencontre de cette Sunshine, baignée justement par les rayons du soleil.

Elle est haute. C'est le constat que me transmet mon cou tendu, tandis que la tête en l'air je l'observe sans interrompre ma course. Ce faisant, je manque presque de m'apercevoir le territoire inconnu dans lequel je pénètre pour la première fois.

Ces nouvelles contrées, je les découvre en longeant en sens horaire la Yamanote, ligne circulaire à l'importance cruciale, véritable myocarde de la capitale. Tantôt je dois emprunter une route à l'intérieur du cercle que forme cette ligne, tantôt à l'extérieur. Tokyo étant une conurbation apparemment dépourvue de plan d'urbanisme, parfois je dois également m'éloigner des parages immédiats de la ligne pour y revenir ultérieurement.

Je me rends finalement jusqu'à la station Nishi-Nippori, après quoi je juge qu'il est temps de rentrer. Décision qui n'a pas été prise trop tôt, car peu après, mon genou droit commence à m'envoyer des signaux de douleur à l'intensité croissante. N'ayant généralement mal aux rotules qu'à compter du douzième ou treizième kilomètre, j'en conclus avoir beaucoup couru. La colligation postcourse abonde dans le même sens. Seize point deux kilomètres!

gmap-pedometer.com/?r=5811818

Mais ceci n'est pas une entrée sur le jogging, du moins pas seulement sur le jogging, quoique cette course a été fort plaisante, et que la décrire en lettres en mots en phrases l'est tout autant. Avant même d'en rédiger les premières lignes, je songeais plutôt à relater un achat fortuit, effectué dans une brocante qui s'est mise sur ma route. Je me suis de toute évidence perdu en cours de parcours, mais je compte retrouver le droit chemin au prochain paragraphe.

À l'approche d'Ōtsuka, la première station croisée le long de la Yamanote, une boutique attire mon attention de par les bébelles qu'elle fait miroiter en vitrine. Je décide d'y entrer, peut-être inspiré par le beau temps, car habituellement je n'aime pas briser mon rythme ainsi.

Le magasin ne semble avoir rien d'exceptionnel à proposer jusqu'à ce que mon regard se pose sur des cartes de baseball. Initialement déçu qu'il ne s'agisse pas plutôt de cartes de hockey, scénario qu'on avouera moins plausible, je me rappelle ensuite des Expos. Animé par la pensée de mes amis qui en étaient amateurs, je me mets à passer les cartes au peigne fin. Fort de mes achats, le soir même je mets en ligne la photo et le message d'accompagnement suivants.


Chers amis qui étiez amateurs de balle au stade (je pense notamment à Danny, Jérôme, François, Guillaume), j’ai une surprise pour vous. En fouillant dans une brocante, je suis tombé sur la série Fleer de 1987. Les cartes de presque tous nos Zamours de l’époque s’y trouvaient, mais je ne me suis procuré que celles dont le nom m’était familier. Je propose donc de poster sans frais une de ces cartes à quiconque en veut (pas juste les quatre personnes mentionnées). Je peux même l'autographier si ça vous chante. Il vous suffit d'indiquer comme commentaire le nom du joueur désiré, puis de me transmettre votre adresse en message privé. Premier arrivé, premier servi. À qui la chance?

Moins de vingt quatre-heures plus tard, les quatre compagnons mentionnés, ainsi que Samuel qui a été repêché, se sont manifestés et recevront sous peu la carte de leur choix. Je suis content, et je crois qu'ils le sont, eux aussi. Ainsi se termine cette longue entrée qui nous parle de course, de balle et d'amitié.

mardi 5 février 2013

Brique collage

J'aime accumuler les vieux magazines et livres, véritables vitrines sur le passé. À Toronto, j'en avais charcuté quelques-uns au service de la création artistique, dont les fruits prenaient la forme de collages, dont en voici un exemple.



Ces œuvres en valaient la peine, mais requéraient un temps considérable doublé d'une bonne dose de motivation. Ma dernière, la plus ambitieuse, a été laissée en gage à mes deux meilleurs amis de Toronto. J'espère qu'ils en prennent soin.

J'ai mentionné il y a quelques jours le désir de décorer mon appartement. Plutôt que d'insérer dans les cadres récemment achetés des images qui ne sont pas miennes, j'ai décidé de me remettre à bricoler afin d'accoucher de quelque chose d'unique, espérons en moins de neuf mois. Comme coup d'envoi, je viens de me procurer les matières premières requises, quatre livres d'illustrations traitant de la vie et de l'histoire de l'époque Edo, dénichés dans Jinbōchō, quartier réputé pour ses foisonnantes libraires d'occasion.

Après avoir sélectionné les images qui me plaisaient, j'ai entrepris d'en séparer les pages entières de leur livre respectif, en coupant le petit cordage dont est constituée leur reliure. Pour ce faire sans endommager le papier, j'ai employé une languette de col de chemise et mon rasoir droit, qui malheureusement ne sert plus à me tailler la barbe depuis des lustres, par lâcheté et en l'absence d'une bonne pierre à aiguiser. Au moins, cette merveille acérée a été mise à contribution aux fins de création artistique, pour que soit enrichi mon espace de vie. Reste à voir combien de temps mes murs devront attendre avant de se parer de beaux atours d'Edo!


lundi 4 février 2013

Le pays des merveilles

Je reviens chez moi en soirée. Dans le vestibule d'entrée de l'immeuble, j'en profite pour ouvrir ma boîte aux lettres, pas tant pour voir ce que le facteur m'a apporté, mais plutôt pour me débarrasser des circulaires et autres gaspillages d'encre et de papier qui chaque jour s'y accumulent. Je n'y trouve du courrier à mon nom que parfois, et cette fois-ci est un parfois.


J'y déniche, dissimulé sous le prospectus d'un quelconque centre de santé, mon bulletin du niveau 3 de l'examen national de compétences linguistiques japonaises, auquel je me suis soumis en décembre dernier. Je ressens une certaine fébrilité de tenir ce bout de carton. Rarement un envoi postal a suscité un tel émoi en moi. Je m'imagine en jeune premier de classe américain tenant nerveusement la lettre qui confirmera ou infirmera son admission à Harvard.

Je décide de laisser planer le suspense un temps, puis je l'ouvre. Se déploie un spectacle d'une rare beauté (quelle poésie)!


Réussite! Le résultat correspond à mes impressions le jour de l'examen, ce qui n'enlève rien au plaisir procuré par cette confirmation. Cette petite victoire ne doit toutefois pas faire office de prétexte à un relâchement, car au lieu de me servir de mes lauriers comme siège, je me dois de me remettre à l'étude sérieuse, en vue du prochain examen en juillet, de niveau 2 cette fois, qui s'annonce autrement plus ardu. Car après tout ce n'est ni le pays d'Alice, ni celui d'Oz. Le rêve ne se réalisera pas qu'en claquant des sabots à trois reprises.


dimanche 3 février 2013

Grande compréhension

Dans la lignée des établissements de restauration au nom douteux aux yeux de ceux assez chanceux pour être parleux du françeux, en voici un autre bel exemple.

Bienvenue chez La Grande Calice, êtes-vous-tu prêt à commander?

L'humour ici n'est évidemment à la portée que des Québécois et des francophones accoutumés à leur culture. À la vue de cette photo sur les réseaux sociaux, l'ami Gilles, qui n'est ni un ni l'autre, un peu confus a formulé le commentaire suivant, que j'ai trouvé drôle en soi :

Y'a quoi de drôle là-dedans?

Ah, mon Gilles, c'est que sans bagage culturel québécois, il n'y a rien à comprendre. Un jour je te vulgariserai le caractère drolatique d'un restaurant dénommé La Grande Calice. D'ici là, j'apprécie ta capacité à nous faire sourire sans connaissance de cause!

samedi 2 février 2013

Chausse-pied

Il y a quelques jours je voulais traiter de mes nouvelles bottes. L'anecdote que je comptais relater en guise d'introduction s'est plutôt arrogée l'avant-scène. Permettez-moi de m'expliquer. 

Montréal, 21 décembre 2012. Le temps des Fêtes cogne à nos portes. Le vol se pose avec un peu de retard. Cueilli à l'aéroport par mon frère, je pose les yeux sur l'est du Canada recouvert d'un épais manteau de neige fraîche, hérité de quelques tempêtes ayant précédé mon arrivée. Je me réjouis en pensant au Noël blanc qui m'attend.

Dans mes pieds, des bottillons de parade de l'armée canadienne, achetés quelques années auparavant dans un surplus de l'armée torontois. Présentant un meilleur pouvoir d'isolation que de simples espadrilles, ils ne sont pas adaptés à l'hiver pour autant.

Deux jours s'écoulent. Les bottillons sont tachés de dépôts de calcium. Leurs semelles lisses sont en manque criant de crampons. À plus d'une reprise j'évite toute juste de chuter, mes pieds se dérobant sur des surfaces pourtant peu glissantes. Le constat s'impose : il me faut meilleure protection podologique. Direction Surplus D'Armée Du Cap Enr.

Sur place, j'en essaie quelques modèles, puis mes yeux se posent sur la paire promise. Pratiquement neuves, elles montent jusqu'à mi-mollet, ne sont pas trop larges et, surtout, sont dotées de crampons et d'un cap d'acier. Le propriétaire m'indique qu'elles étaient à l'époque exclusivement attribuées aux soldats en formation au Collège militaire royal de Saint-Jean. Elles sont rares, elles sont belles, je les aime, elles sont miennes.


Malgré l'absence d'isolement hivernal, protégés de deux paires de bas mes pieds demeurent au chaud. Le calcium est incapable de les ternir après traitement. Je les porte fièrement, et mes sorties extérieures ne s'en portent que mieux. Je suis heureux de me savoir en possession de ces bottes polyvalentes, qui pourront me servir en toutes saisons de plusieurs façons pour les années à venir, à condition de les entretenir.

Quelques jours après leur achat, je les montre à mon ami Charles. Il remarque immédiatement l'inscription sur la semelle, vibram, et sort de sa penderie une paire de bottes de randonnée, de marque Merrell, presque identiques à celles qu'il portait lors de notre voyage aux Pyrénées, la paire originale ayant, m'informe-t-il, rendu l'âme. Ses bottes sont bien différentes de ma nouvelle acquisition, mais pourtant vibram y apparaît également, et cela me surprend.



Ainsi, me rappelant cette histoire, en début de semaine dernière je décide d'effectuer des recherches sur cette mystérieuse marque, lesquelles me permettent de découvrir qu'une société italienne privée est à l'origine des semelles en caoutchouc au motif à croix caractéristique qui ornent les produits d'innombrables d'équipementiers de couvre-pieds.

Décidant d'ériger l'anecdote en entrée de blogue, je juge bon de commencer par mentionner le voyage de Charles et moi avions effectué, alors que nous étions bien vibramés, pour ensuite enchaîner avec mes bottes d'armée. Les Pyrénées ayant toutefois pris naturellement le dessus, la trame du récit a emprunté un tournant inattendu.

Un tournant inattendu, mais aussi heureux, car ce faisant j'ai pu mettre en mots mes souvenirs et impressions d'un voyage vécu en bonne compagnie, tout en retardant la rédaction du présent billet de manière à me permettre entretemps de les soumettre à leur premier véritable test, dans le cadre duquel elles se sont acquittées de leur tâche avec brio. Comme quoi le parcours sinueux de la vie nous réserve de belles surprises, pour peu qu'on s'y chausse en conséquence.

Caractéristiques croix et terre de Takao

vendredi 1 février 2013

Plaisirs gastro

Les tenanciers de restaurants à l'européenne, qu'il s'agisse de gastronomie française, italienne, espagnole, ou, souvent, d'une fusion parfois douteuse d'influences, optent pour des noms d'établissement qui, aux yeux et aux oreilles japonaises, doivent sembler authentiques, mais qui sont souvent étranges pour ceux dont on pastiche la langue.


Ainsi, la question s'impose : ce restaurateur aurait-il confondu bouffe française et plaisir culinaire exquis issu de Victo, Drummond ou Warwick (c'est selon)? Tant qu'il jouit d'un bon approvisionnement en fromage en grains, ça me convient.