lundi 28 octobre 2013

Art de planche

En vidant mon balcon de ses détritus lâchement accumulés, je tombe sur une planche de bois contreplaqué, ou plutôt un panneau à copeaux orientés, en langage technique. Je ne me souviens plus exactement où je l'ai trouvée ni ce que je comptais en faire, mais la voilà qui attend que je décide de son sort.

C'est alors que je remarque les motifs intéressants de sa surface, formés par la juxtaposition des copeaux pressés les uns contre les autres. Je me rappelle alors que c'était ce qui m'avait poussé à garder cette planche, il y a plus d'un an, sans savoir que j'allais l'abandonner à son sort, exposée aux éléments du balcon.

Je décide dès lors de faire amende honorable, en commençant par tracer au marqueur le contour des dizaines de copeaux de diverses tailles. Me vient ensuite l'idée d'y coller des cartes menko datant de l'avant-guerre, semblables aux pogs qui ont fait fureur à l'automne de ma sixième année, et que je collectionne depuis quelques temps. Ces bouts de carton circulaires aux thèmes variés montrent notamment des samouraïs légendaires, des super-héros sans crainte, des monstres furieux de rage, des cowboys en plein duel, des soldats sous le feu ennemi, et d'autres personnages colorés.

Je me mets donc à peindre les couleurs principalement employées dans ces menko, soit le rouge, le jaune et le vert, en prenant soin d'éviter que des copeaux de couleur identique se chevauchent. Je me rends ensuite compte que quelques coupeaux de bonne taille ne peuvent être peints, étant cernés de toutes parts par les trois autres couleurs. L'emploi d'un quatrième mousquetaire, le bleu, est donc de mise. Je ressors mon pinceau et me mets à la tâche.

Me vient enfin la satisfaction de l'œuvre achevée. Ma chère planche, je suis sincèrement désolé de t'avoir négligée tout ce temps, mais tu conviendras que l'attente balconière en aura valu le pinceau!




dimanche 20 octobre 2013

Sodai gomi

Mon appartement est doté d'un balcon relativement large, relativement parce qu'en ce pays aux étés suffocants au point de tuer dans l'œuf à la coque toute idée de se prélasser à l'extérieur et d'en tirer du plaisir, le balcon moyen est souvent juste assez large pour y permettre l'installation d'un ventilateur de climatiseur, alors exit l'idée d'y poser une chaise.

Le mien est néanmoins en mesure d'accueillir une chaise ou deux, et entre elles, une petite table, et avant d'emménager en ces lieux je pensais bien y passer du temps. La vie oisive de balcon ne s'est pourtant jamais matérialisée. La largeur de chaise susmentionnée s'est toutefois révélée bien utile pour faire de mon balcon la décharge de meubles devenus inutiles, notamment, et ironiquement, d'un fauteuil de travail qui m'avait été donné par George, mon ancien coloc, posé dans le coin droit et laissé là, à se détériorer par exposition aux éléments. Puisque cet espace extérieur ne m'était utile que pour sécher mes vêtements, et que la présence de ce vieux fauteuil n'était importune que par son aspect inesthétique, il m'a fallu plus d'un an pour y faire le ménage.

En frais de meubles, comme dans plusieurs aspects de la vie au Japon, ne jette pas qui veut. Une procédure bien définie doit être suivie pour se départir de ces sodai gomi (粗大ごみ, déchets de grande taille). Après des recherches sur la manière de procéder, il m'a d'abord fallu communiquer avec le centre de traitement des déchets de l'arrondissement, afin de s'enregistrer et d'y détailler les indésirables. La dame à l'autre bout du fil m'a ensuite confirmé que la mise au rebut de chacun des trois articles, soit ledit fauteuil, une petite table trouvée en bord de chemin et jamais mise à profit, et une bouilloire, revenait à trois cents yen chaque. Elle m'a ensuite confirmé la date de collecte, le 17 octobre, soit exactement deux semaines plus tard. Il ne faut pas être pressé pour jeter ses gros bidules!

La veille du jour D (pour déchets), je suis donc allé au dépanneur du coin pour y acheter les trois autocollants de sodai gomi de type B (à trois cents yen) à apposer, sur lesquels j'ai inscrit nom, adresse et date. J'ai sorti mes trois articles, et les ai laissés en évidence dans l'espace de stationnement de mon immeuble, la bouilloire insérée dans la table, elle même posée sur le fauteuil. Le lendemain à mon retour de leçon en matinée, plus de trace de ces trois amigos, mon balcon pouvait mieux respirer. Celui-ci contenait encore quelques débris, dont un d'entre eux allait servir sous peu...


mardi 15 octobre 2013

Flocons de typhon

L'annonce d'une grosse bordée de neige les jours de semaine de mon enfance s'accompagnait de l'espoir que la gravité appréhendée du désastre blanc justifie, aux yeux des responsables qu'on aurait voulu plus peureux ou soudoyables, la fermeture de l'école, et ainsi une journée à jouer dans la neige.

Il est concevable que les enfants japonais des régions ceinturant la mer du Japon vivent les mêmes expériences hivernales, mais à l'instar des autres principales métropoles du pays, Tokyo ne voit des flocons qu'à quelques reprises chaque hiver, et la rare neige qui s'accumule au sol ne fait jamais long feu.

L'écolier peut toutefois compter sur un autre phénomène naturel pour le libérer à l'occasion des chaînes oppressantes de l'éducation étatique, j'ai nommé le typhon. Celui qui vient, Tokyo dans la mire, joliment baptisé Wipha et dont l'apogée est prévu pour demain en matinée, est apparemment le plus important des dix dernières années.

Comme replongé en enfance, mais sans devoir écouter la radio au petit matin en attente insoutenable de la confirmation de fermeture scolaire venue du ciel, je sais d'ores et déjà que ma leçon de japonais de demain n'aura pas lieu, le directeur ayant sagement décidé de fermer les portes de son école.

Je ne ressens toutefois pas la même joie que lors des blizzards ferme-école de jadis. Le fait que le plaisir ne découle pas aussi naturellement de l'eau de typhon que de la poudrerie de tempête y est probablement pour quelque chose...

lundi 14 octobre 2013

Affiche du tonnerre

Un district au sein duquel j'aime bien flâner à Tokyo se nomme Jimbōchō, où abondent les librairies de livres usagés aux mille et un trésors. Une boutique qui se démarque du lot s'oriente plutôt sur la culture de masse, et propose par conséquent, et par milliers, des magazines de lutte professionnelle, de base-ball, de sumo, des téléhoraires à la publication qui précède ma naissance, ainsi que des affiches de film et autres matériels promotionnels issus de l'industrie cinématographique. 

Les affiches de films cultes ou rarissimes sont évidemment assez chères, mais pour ceux plus obscurs, il est possible de faire de bonnes affaires, comme c'est presque toujours le cas lors de chaque visite.  Question de faire redonner à la présente tribune un certain air de régularité, permettez-moi à l'occasion de partager quelques-unes de mes trouvailles en cette boutique et parfois chez ses consœurs. Commençons donc par Tokyo Blackout...




En ce pays de séismes, typhons, éruptions et radiations, pas étonnant que les films catastrophes, dont celui-ci datant de 1987, aient historiquement eu la cote. Fait intéressant, le titre japonais (Shuto Shōshitu) signifie "Destruction de la capitale", plutôt que de Tokyo. 

vendredi 4 octobre 2013

Forfait

Finalement, je m'étais trompé : ce n'était non pas à titre de pharmacien qu'on requérait mes services, mais plutôt comme patient, heureux qu'une souriante pharmacienne, mon amie Natsumi, m'explique la posologie d'un antidouleur, les effets secondaires d'un régulateur de glycémie, ou toute autre consigne d'un remède quelconque, car au fond les pilules avaient été choisies strictement pour leur photogénie.

La séance s'est bien déroulée et, aux dires de l'équipe de photographie, plus rapidement qu'à l'accoutumé, sans doute grâce à la belle et professionnelle complicité qui existait entre moi et Natsumi, et au naturel ayant caractérisé notre poignant jeu soignant-patient.

Alors Guillaume, la vérité s'impose : si par essence tu es le plus compétent des pharmaciens, par défaut, tu es le plus convaincant. Bravo!