mercredi 3 avril 2013

Shikoku jour 10 : de chute à cèdre

 Beurre de pinottes et soleil du matin, ou réconfort assuré

Tout comme hier, peu avant les coups de sept heures, depuis la salle de bains des handicapés, spacieuse et confortable, je me lève. La halte routière est cette fois en terrain montagneux, d'où le froid ressenti pendant la nuit. Après un bref réchauffement par friction des mains l'un contre l'autre, je m'habille et fais mes bagages.

Dès que je sors de ma tanière pour la nuit, comme aux aguêts le gérant de la halte y pénètre, prêt à bondir et me mettre la main au collet s'il découvre quoi que ce soit d'abîmé. Quand je l'ai vu la veille en soirée, il m'a averti de m'assurer de ne rien oublier. Il ne pouvait probablement pas s'imaginer que j'allais y passer la nuit. 

Sur le coup, même si je sais que j'ai laissé l'endroit aussi propre qu'à mon arrivée, j'imagine qu'il est furieux qu'un étranger ait osé occuper une bâtisse sous sa responsabilité. Mes craintes se volatilisent lorsque, un moment plus tard, il m'apporte une brochure des attraits touristiques de la région, point de départ d'une discussion matinale au soleil réjouissant qui s'élève des collines.

Il m'inspire à prendre mon temps ce soleil, dont les rayons reviennent me chauffer la couenne après chaque passage de nuage. À neuf heures les étaux de produits régionaux sont ouverts au public. Il reste une quinzaine de minutes, et je décide de précéder mon départ de l'achat de produits maraîchers.

S'assoie à ma table un homme dans la soixantaine. Monsieur Shimasaki de son prénom a le teint bronzé, signe qu'il apprécie le plein air. Il profite de sa journée de congé pour s'accorder une escapade photo des splendeurs montagnardes, et m'invite à partager l'expérience. Le succès sur les routes n'implique pas toujours de devoir s'y poster.



Plus précisément, il est fervent de chutes, l'objectif 300 millimètres à ses côtés lui permettant d'en croquer même à distance. Dans le siège passager du véhicule de cet expert, je découvre des lieux autrement inacessibles.

À tous les bâtisseurs qui, à la sueur de leur front dans les camps de la Baie James ou de la Manicouagan, ont permis au Québec de réaliser son potentiel hydroélectrique, je dédie cette photo du barrage Ōhashi.

Adroitement, de la route nationale, il pénètre dans des routes préfecturales, puis dans des chemins plus étroits et escarpés encore, sachant exactement où se cachent les prochaines cascades. Nous en visitons quatre au total, et une de plus n'eut été du fait qu'elle est tarie à ce moment de l'année, en plus d'un barrage. Plus près du niveau de la mer, les cerisiers se sont déjà presque tous dévêtués de leur éclat floral, mais ici en montagne, ils respendissent encore. Le temps qui s'éclaircit graduellement rehausse l'expérience.

Mi piace!, qu'entonne l'Italien en moi, à la vue de la rivière Yoshino, bercée de soleil.

L'une des chutes, peu impressionnante depuis la route, ne révèle sa splendeur qu'à ceux qui en gravissent d'abord le lit de pierres. L'autoportait s'impose.

 L'eau chute ou la chute d'eau? Moment de réflexion.

Nous traversons un pont rouge pour obtenir un bon angle de vue d'une colonne d'eau à flanc de falaise. Mon objectif ne permet pas de bien la photographier. Mais plus qu'une question d'attirail, les chutes en tant que telles n'ont pas le même attrait à mes yeux qu'aux siens. M'intéressant plus souvent aux gens et à ce qui les anime, j'immortalise monsieur Shimasaki, absorbé qu'il est par sa passion. Et tant qu'à m'étendre sur l'asphalte pour optimiser l'angle, je mets mes jambes à contribution.



Au bout de quelques heures à successivement monter et descendre des routes sineuses à largeur variable, au cours desquelles je ressens les symptômes prévisibles du mal des transports, le gentil monsieur Shimasaki me dépose à la gare Ōsugi, près de la route qui devrait me permettre d'atteindre ma destination pour la journée, Miyoshi.

Il n'est que 13h30, le soleil brille. Une collation d'agrumes, souvenirs de la halte de ce matin, semble tout indiquée.


Ōsugi (大杉) signifie littéralement gros cèdre. La toponymie japonaise est généralement liée à des réalités historiques, mais plus rarement au présent, si bien que d'instinct je ne scrute pas le paysage dans l'espoir d'y apercevoir un arbre gargantuesque. Au moment d'amorcer la courte marche jusqu'à la route nationale, toutefois, je remarque un grand poteau comportant l'inscription 日本一の大杉, soit le gros cèdre numéro un du Japon. Là où je me trouve n'étant pas ainsi nommé pour rien, vers l'illustr'arbre je me dirige.

J'ignore s'il est numéro un pour son âge, sa taille, sa circonférence ou son volume, et la brochure ne m'éclaire pas davantage. Il est assurément massif, et probablement plusieurs fois millénaire. Je tente de le photographier de manière à en maximiser la grandiosité, effet obtenu en m'incluant dans la photo, minuscule car posté en retrait.

Je pourrais prétendre qu'il n'est pas si gros, mais ça serait vous mentir.

Je retourne à la gare, y récupère mon sac à dos que l'employé ferroviaire à convenu de surveiller, et vais me dresser sur la route vers Miyoshi. Il est seize heures. Je suis confiant d'être pris rapidement. Chapeau sur la tête, me gardant au chaud sans m'aveugler le soleil contrebalance la brise frisquette de fin d'après-midi.

Le temps s'écoule, l'ombre formée par la colline derrière laquelle le soleil disparaîtra bientôt gagne du terrain, personne ne stoppe. À deux reprises je me repositionne pour rester au soleil, jusqu'à ce que ces derniers rayons quittent la route pour se limiter aux collines, derrière. Ombre ou soleil, aucun automobiliste n'a envie d'avoir de la compagnie.

Au bout d'une heure trente, je range ma pancarte, me charge du sac à dos, et retourne à la gare. Aucun coup de pouce à obtenir du pouce, Miyoshi sera rejointe en train, mais après si belle journée, impossible d'en perdre mon entrain!


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