dimanche 2 juin 2013

Hinodé à roulettes

Monsieur, vous pouvez remballer votre parapluie, aucune averse n'est finalement prévue. 
Oh, il s'agit d'un parasol?


Comme prévu la veille au soir, je descends du train à la gare Itsukaichi, le terminus de la ligne du même nom. Le ciel superbe en matinée ne laisse présager aucune averse dont la possibilité était soulignée dans le bulletin météo d'hier. 

J'arrime les patins à mes bottillons d'armée, que j'estime plus à même d'absorber les vibrations de la route que de simples souliers. Fin prêt, je me dirige vers la route devant me mener vers ma destination, au nord. 

Bien vite, je me rends compte que je suis mal équipé pour le défi : la voie est passante, avec proportion notable de camions, et le trottoir, inadéquat ou bien inexistant. Ajoutons à cela la pente généralement ascendante, et ainsi chaussé de quasi-antiquités, je ne me sens pas tout à fait en sécurité. 

Me vient alors l'idée de libérer du patin mon pied droit, afin de l'affecter à la propulsion, tout en cantonnant son homologue de gauche au support et à la direction, à la manière d'une planche à roulettes, comme j'en ai possédée à l'adolescence. Mes pieds demeurant ainsi parallèles à la route, j'en mène moins large dans ma progression, et sans ces poussées latérales, sources de friction, le risque d'ampoules s'en trouve grandement diminué. Surtout, les arrêts d'urgence sont facilités.

Le périple devient autrement plus plaisant et rassurant, malgré la fatigue de la jambe gauche, qui seule doit soutenir mon poids, problème résolu en changeant mon patin de pied (ça me fait penser à changer son fusil d'épaule, mais c'est une autre histoire).

Je marque ma première pause au bout d'environ une heure, à l'ombre de cerisiers. Du sac je sors ma bouteille, mais quelque chose cloche : son poids me confirme qu'elle contient de l'eau, mais sans les bruits caractéristiques d'une bouteille pas tout à fait pleine. Je dévisse mon bouchon et me rends compte de la bourde : la mousse qui en déborde me rappelle qu'il y a quelques jours je l'ai remplie d'eau savonneuse en vue de la nettoyer, en oubliant évidemment de la rincer. Malgré la soif, je n'ai d'autre choix que de me départir de ce liquide à vaisselle, et la gorge sèche je me remets en route, à l'affût d'une source hydrique. 

Au bout d'une vingtaine de minutes mais peut-être plus – on perd facilement la notion du temps, aux prises avec une fixation aquatique – se dresse sur mon chemin un institut. Tout en sueur, je me déchausse de mon patin, puis de mes bottes car à l'intérieur ça se vit en pantoufles, et supplie à la première préposée croisée de me laisser remplir ma bouteille. Elle m'indique gentiment un grand évier dans une salle à manger juste en face de l'entrée, d'où me parvient les odeurs alléchantes du dîner, les coups de midi n'étant plus très loin.

J'y rince ma bouteille à fond, la remplis une première fois pour en engloutir le contenu aussitôt, puis la remplir à nouveau pour consommation ultérieure. Enfin désaltéré, je remercie la dame et sa collègue, puis lui demande de quel genre d'institut il s'agit. Elle me répond en employant un mot inconnu, je lui demande si cela est semblable à un centre de relaxation ou de santé (car c'est l'impression que j'en tire), et elle me répond que ce n'est pas trop loin du compte.

Ce n'est qu'après être sorti pour m'installer sur un banc devant l'établissement et croquer des pois mange-tout en vente libre sur un étal à l'entrée, que le déchiffrement des caractères de l'enseigne me font comprendre sa vocation : le mot inconnnu était chiteki shōgai (知的障害), soit déficience intellectuelle. Les passagers qui peu après sortent d'une camionnette conduite par un employé de l'endroit me confirme la justesse de ce terme nouvellement acquis. Ces bénéficiaires étant d'aptes cultivateurs et des artistes de surcroît, j'achète un autre sac de délicieux mange-tout ainsi qu'une jolie figurine en terre cuite. 




Je me remets en route, question de donner un bon coup avant le dîner. En chemin, je tombe sur une école de rafting, lieu d'une autre pause, rendue agréable par la conversation avec la jolie Mayumi qui y travaille, récemment revenue d'un séjour de huit ans en Australie. 

Je traverse finalement la rivière Tama, encore naturelle car en amont, et vais me restaurer d'un bon bol de soba aux légumes de montagne (三菜そば), avant de me laisser tenter par un bain de soleil, et d'eau, aux abords de cette même rivière, point final rafraîchissant à roulante journée.

Expérience à refaire, mais non sans d'abord me munir de roulettes de plus grand diamètre, ne risquant pas de me faire trébucher au moindre caillou!


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