samedi 3 mars 2012

Ça doit faire une heure maintenant

J'imagine que tu as d'autres projets en veilleuse, 
j'ai bien hâte de les lire lorsqu'ils seront complétés!

Ainsi m'écrivait mon ami Frédéric dans sa réponse à mon courriel, dans lequel je lui demandais de me servir de référant dans le cadre du renouvellement de mon passeport. Son message, contenant beaucoup d'autres phrases, était particulièrement étoffé en tant que survol de sa nouvelle vie à Ottawa, depuis son déménagement, avec sa copine Lucie.

C'est en rédigeant ma propre réponse à son courriel, réponse qui a dû attendre une journée, car je voulais lui en rédiger une digne de lecture, au-delà du simple remerciement pour sa volonté de faire office de référant et de me transmettre ses coordonnées, que j'ai eu l'idée d'écrire sans cesse, ou presque, pendant une heure juste, juste pour voir ce qui en résulterait. Comme j'ai écrit à Fred en lui annonçant que l'idée de cette heure à tricoter le clavier venait de me traverser l'esprit, dans cette avalanche de mots, il y aura bien quelques flocons valables de détour. Fred saura me pardonner cette indiscrétion, ce dévoilement au grand jour de mots qui devaient rester entre nous.

Déjà presque dix minutes de temps sous mes pieds dérobé. Déjà quatorze mois depuis mon arrivée en sol de soleil levant. Mars y est, et sous peu la date fatidique du onze, marquant le premier anniversaire du jour où la terre s'est secouée un peu plus qu'à l'habitude. Ça faisait une secousse qu'on avait pas senti une telle secousse, qu'aurait dit mon grand-père, si, improbablement, il avait été Japonais doué du parler canadien français. 

Romuald a d'ailleurs eu quatre-vingt-sept ans le mois dernier, et lui et son épouse, ma grand-mère Thérèse, ont décidé, compte tenu de leur autonomie en perte d'indépendance, d'emménager dans une résidence de retraite. C'est donc dire qu'à toutes fins pratiques je ne mettrai plus jamais les pieds dans leur maison, lieu de riches et nombreux souvenirs infantiles. Je ne vois mes grands-parents que rarement, et j'ai honte de ne pas les voir plus souvent, de ne pas faire d'effort en ce sens. Je résous ici même de leur donner un coup de fil. Maman, rappelle-moi leur numéro de téléphone, s'il-te-plaît.

Grand-papa est né en mille-neuf-cent-vingt-cinq, la mention de ce fait ici n'a pour motif que de souligner ma préférence pour les chiffres en toutes lettres. J'aime les chiffres en lettres, mais pas les lettres en chiffres, je trouve ça laitte.

Mes amis, si seulement vous voyiez les trains tokyoïtes (j'ai toujours aimé la présence du tréma ici, et tréma, c'est un mot joli, je trouve) tôt le samedi matin, vous en seriez ébaubi (un terme synonyme d'ébahi et appris de l'illustre Marc Labrèche. Si Marc Labrèche est un personnage illustre, Tintin est-il un personnage illustré?). C'est jaune de monde ces trains-là à huit heures trente! (Remarquez ici encore l'heure indiquée en toutes lettres. Délectez-vous également de la judicieuse adaptation de l'expression c'est noir en monde à la réalité asiatique. Futé, non? J'admets que non seulement la présente parenthèse s'éternise, mais également que leur nombre est excessif. Fermons-la, pour commencer.)

Non seulement se libérer du joug de la parenthèse soulage de la claustrophobie textuelle, mais la création d'un nouveau paragraphe n'apporte-t-elle pas un vent de fraîcheur oxygénée? Attention, on peut y prendre goût.

Voilà déjà un nouveau paragraphe, c'est un peu tôt, non? Faut dompter ses ardeurs, se montrer patient. Je viens tout juste de résister à la tentation de me paragraphier à nouveau, à la fin de la phrase précédente, mais la présente phrase, et espérons la suivante, font toujours partie du même paragraphe, ce qui démontre indubitablement que je suis sur la voie du rétablissement de mon affliction de va-vite paragraphique, et qu'au fond, un nouveau paragraphe est impossible tant qu'un point n'est pas utilisé; suffit dès lors d'employer virgules et point-virgules à n'en plus finir pour se concocter un paragraphe à n'en plus finir, au risque de se retrouver à l'opposé, dans le territoire de la constipation paragraphique, dont les premiers symptômes commencent, vous en conviendrez, de se manifester, et c'est pourquoi je m'administre dès maintenant un ex-lax de syntaxe,  j'ai nommé le point.

J'espère avoir désormais su établir un équilibre de rédaction, avec une régularité de paragraphe ni trop longue, ni trop courte, à la consistance de sentences ayant du sens. Ça me rappelle qu'un des plaisirs que j'extrais de ce blogue, et de la langue française dans un sens plus large, c'est ma capacité, voire ma facilité, à créer de nouveaux mots, de nouvelles expressions, de plein gré, sans me borner à ce qui existe déjà. Merci langue française, malgré tes exceptions, tes difficultés et tes idiosyncrasies. Ton idio de syncrasie m'a toujours plu.

J'ai reçu de diverses sources quelques cartes postales dernièrement, certains liées au Japon, d'autres non. Qui souhaite en recevoir? Que je vous connaisse ou non, qu'importe : transmettez-moi vos coordonnées par courriel à l'adresse julienpitre@gmail.com, et je viens de décider que je vous enverrai une carte postale, liée au Japon ou non, mal écrite à la main mais personnalisée. Ne soyez pas timide, allez!

Mon passeport vivra son dernier jour de validité le vingt mars. L'ambassade canadienne recevra donc l'honneur de ma visite cette semaine, la chanceuse. À mon dernier passage, j'avais remarqué que les urinoirs de la toilette des hommes (pas celle des femmes, ai-je besoin de le mentionner?) donnaient directement sur une grande fenêtre, allant du plafond à la moitié du tibia de l'homme (mais aussi de la femme) de taille moyenne, donnant directement sur une sorte d'étang composé de pierres aux arêtes vives et dépourvu de flore, censé je crois représenter le bouclier canadien aux milliers de lacs dans toute son austère splendeur. Un bassin d'eau comme inspiration à pisser, difficile de demander mieux, sauf peut-être les chutes du Niagara, autre symbole de canadianité. 

Le décompte est presque terminé. Une heure est vite passée, vite partie, fait vite partie du passé, c'est un fait, faut s'y faire. Mais en toute honnêteté, j'ai quelque chose à vous avouer que vous ne répéterez pas : je ne m'étais accordé que cinquante-neuf minutes, qui se sont officiellement terminées alors même que je tapais le deux-points de la présente phrase. Ça doit faire une heure maintenant.

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