jeudi 15 novembre 2012

Prélude : ça n'arrive qu'aux autres

Je me lève à l'auberge, la première journée de mon court périple à Shanghai. Il est environ neuf heures, pas particulièrement tôt. Je suis en vacances, rien ne presse.

Je descends au rez-de-chausse. Installé au resto, je commande du café. Lorsqu'on me sert mon omelette espagnole, la fille assise à ma droite me souhaite bon appétit. C'est le début de notre conversation.

Miranda, des Pays-Bas, en est plein tour du monde. Tout comme Mathieu le Breton, elle est venue d'Europe par le Transsibérien. Le soir même, elle doit prendre l'avion en direction du Vietnam, pour y rencontrer une amie.

Nous convenons de nous balader ensemble jusqu'au milieu de l'après-midi, après quoi je devrai me préparer au match, tandis qu'elle aura à faire ses bagages.

Elle m'indique qu'elle comptait visiter le musée de Shanghai. J'accepte volontiers de l'accompagner. Puisque Shanghai est beaucoup plus frisquet que sa prochaine destination, elle me demande de l'accompagner d'abord au bureau de poste, question de rapatrier ses vêtements plus chauds. Pendant qu'elle remplit le bordereau d'expédition, je prends des photos de l'endroit, jusqu'à ce qu'on m'indique que c'est défendu.

Miranda est au comptoir tandis que je découvre mon nouvel objectif photo

En chemin vers le musée de Shanghai, elle discute de son voyage jusqu'à présent. Je lui demande si elle a eu de mauvaises expériences, en pensant surtout à la Russie et à la Mongolie, que j'imagine risquées pour une fille voyageant en solitaire. Elle me répond que sa pire mésaventure s'est plutôt produite à Beijing. J'en suis un peu surpris. Elle se met à m'en raconter les détails.

Deux jeunes Chinoises sont d'abord venues me demander si je pouvais les prendre en photo. J'ai bien sûr obtempéré, voyant en elles deux voyageuses en situation semblable à la mienne. Bien sympathiques, elles me posent des questions sur mon périple, mes intérêts. Elles m'indiquent qu'elles sont étudiantes universitaires en vacances, venues de l'extérieur pour visiter la capitale. Après un moment, elles m'invitent à prendre le thé. J'accepte tout bonnement. Ces filles me semblent dignes de confiance et très gentilles.

La maison de thé est au sous-sol d'une bâtisse. Assises autour d'une table, nous sirotons une multitude de sélections de boissons infusées, accompagnées de grignotines. Elles alimentent sans cesse la conversation, toute en douceur.

L'addition finit par arriver, et ce n'est qu'à ce moment que je comprends dans quoi je me suis embourbée. Le total revient à plus de 400 euros! Chaque tasse de thé, bue parce chacune d'entre nous, est comptabilisée à un prix de fou, en plus des frais pour l'entrée et les accompagnements.

On m'avait averti de cette arnaque, répandue en Chine. Mais pourtant, pourtant je n'ai rien vu venir. Me sentant à la fois paniquée et enragée, tant contre ma propre naïveté que par leurs manigances, j'essaie de trouver un moyen de m'en sortir. Je me trouve au sous-sol d'une bâtisse inconnue d'une ville et d'un pays qui me sont étrangers. Je suis dans leur tanière, dans l'antre du monstre.
  Une fille semble vouloir s'accrocher à mon bras, tandis que l'autre se dresse devant l'escalier de sortie. Ajoutons à cela la tenancière et une autre employée. Quatre contre un. Qu'importe, je m'élance vers la sortie, mue par l'énergie du désespoir.

Deux des filles s'accrochent à moi. Je les traîne littéralement jusqu'à l'extérieur. S'ensuit une engueulade sur la voie publique. Aucun badaud ne réagit initialement, puis un type vient s'immiscer dans la conversation. Je ne comprends évidemment rien aux paroles qu'ils s'échangent avec tout autant d'intensité, mais je crois deviner qu'il prend ma défense, qu'il est au fait de leurs sombres desseins et qu'il s'y oppose. 

Son intervention me permet de leur échapper. Je reviens à toute allure à l'auberge de jeunesse, situé non loin. Tenaillée d'anxiété, j'appelle mes parents pour leur dire ce qui vient de se produire. Terrifiée à l'idée de croiser ces filles à nouveau dans la rue, je quitte la ville le jour même.

Ces arnaqueurs sont très doués. Ils savent s'adapter à ta personnalité, profiter de ta bonne foi, pour ne pas dire naïveté, s'inventer une histoire crédible à peaufiner au besoin, te complimenter, et alimenter continuellement la conversation, pour t'empêcher de penser clairement et de voir leur petit jeu, tout en subtilité. 

Je m'en veux de m'être laissée volontairement guider jusqu'à l'abattoir. Heureusement que j'ai pu m'en sortir avant de passer au couperet, avant d'être délestée de tant d'argent. Un Américain rencontré ici à Shanghai n'a toutefois pas eu cette chance. Il a refusé de me dévoiler combien cette sale affaire lui avait coûté, alors que je devine que c'était bien plus que 400 euros!

Toute une histoire que Miranda me raconte! Alors que nous couvrons les quelques centaines de mètres nous séparant du Musée de Shanghai, je me demande si moi-même je tomberais aussi facilement dans le panneau. Elle quitte le pays dans quelques heures, alors que j'en suis à ma première journée. L'occasion pourrait donc très bien se présenter. Si c'est le cas, on verra, que je me dis...

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