L'attente n'est pas si déplaisante, car Fumi et moi pouvons ainsi poursuivre notre conversation, amorcée quelques minutes avant l'atterrissage. Vivant en région tokyoïte, comme tant de jeunes issus d'Hokkaido et autres régions éloignées, elle est de passage pour visiter famille et amis. Sa ville d'origine, Obihiro, étant sur mon parcours projeté, nous évoquons à la blague la possibilité qu'elle m'y serve de guide.
La porte ouverte, les passagers se mettent à sortir. La vue depuis les grandes fenêtres de l'aéroport, autrement plus panoramique que depuis mon hublot, est sans équivoque. Ça tombe du ciel.
Voilà qui est de mauvaise augure pour mes grands projets de pouce sur les grands chemins!
Après avoir fait le plein de calories pour le froid qui m'attend, conçu mon écriteau Je parle japonais (日本語が話せます) avec au verso Kushiro (釧路), et inséré des sachets chauffants dans mes bottes, je sors peu après quatorze heures, à la rencontre de cette tempête, à la recherche de la route qui me mènera à bon port. Il ne s'agit pas seulement d'une expression imagée : Kushiro doit son emplacement au fait que son port reste libre de glace en hiver, un atout indéniable dans ces contrées septentrionales.
Mais où sont les trottoirs? C'est la première pensée qui me traverse l'esprit, en regardant dans la direction indiquée par le préposé au stationnement auquel j'avais demandé le chemin. Les autorités aéroportuaires n'ont apparemment pas songé qu'en hiver une personne puisse décider de sortir de l'aéroport à pied plutôt qu'en véhicule ou train. Je me mets donc à marcher en bordure de route, vers le long tunnel passant sous les pistes de l'aéroport, mais au bout d'une centaine de mètres, je dois évoluer dans un épais couvert de neige, un peu effrayé par la procession d'autocars chargés de touristes skieurs.
Tunnel, ton absence de neige me réjouit
Mes bottes s'enfoncent, ma marche est pénible. Et puisqu'il ne fait que quelques degrés sous zéro, la neige qui tombe est fondante. Je m'amuse à penser que j'aurais dû m'apporter des raquettes en babiche, et une ceinture fléchée, pourquoi pas.
Au bout d'une quinzaine de minutes de lente progression, j'atteins un coin de rue favorable. Perché sur un congère à la hauteur du feu de circulation, je déploie ma pancarte et mon sourire. Le regard surpris de nombreux chauffeurs me confirme que je constitue un spectacle incongru, étrange épouvantail dans la neige.
Au bout de quinze minutes, peut-être vingt, une dame m'offre de monter à bord de sa camionnette. J'accepte sur-le-champ, pratiquement sans discussion préalable quant à nos destinations respectives. J'ai l'impression qu'elle me fait signe de mettre mes bagages derrière puis de prendre place à ses côtés, mais le petit chien qui me surprend en ouvrant la portière avant me confirme que moi aussi j'étais destiné à la banquette arrière.
Elle m'indique qu'elle se rend à Sapporo, à l'opposé de ma destination. Présumant qu'elle s'y rendra par l'autoroute, à plusieurs kilomètres au nord, je lui demande si elle peut m'y déposer, juste avant la bretelle d'accès, pour me permettre de faire du pouce en direction inverse. Elle me répond qu'elle comptait plutôt emprunter de petites routes. Me voilà mal parti.
Madame Komura, gentille, mais aussi désorienté que moi
Après une quarantaine de minutes à aller dans tous les sens, je lui demande de simplement me déposer à la station la plus proche, Megumino, à partir de laquelle ma destination est désormais plus loin encore. Je devrai revenir sur mes pas, mais qu'importe. Merci madame Komura pour votre gentillesse. Vous aurez à tout jamais l'honneur d'avoir été la première personne d'Hokkaido à me cueillir sur le pouce.
Bourrasque en pleine face par train plein d'entrain
Il ne reste que quelques heures avant la tombée du jour, alors je décide de tricher un peu en optant pour les trains locaux, plus rapides et fiables, quoique dépourvus d'aventure. Je me dis que demain, qui s'annonce dégagé, devrait mieux se dérouler.
J'écris ces lignes depuis un sympathique ryokan de Shintoku, à mi-chemin de mon objectif, après une bonne nuit de sommeil. Il est dix heures dépassées, un beau soleil éclaire ma chambre, je suis impatient de sortir. Pancarte en main, laissez-moi marcher jusqu'à la route nationale 38, tout près, à la rencontre de gentils chauffards qui me permettront de rejoindre l'aréna de Kushiro, à cent cinquante kilomètres, avant les coups de dix-neuf heures. J'ai une joute de hockey au menu, après tout. Go Shanghai Go!
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