Hokkaidō la nuit
Je me suis rendu compte que mon entrée d'hier annonçant la fin de mon voyage, rédigée tard et dans laquelle je me contentais d'une photo préalablement publiée sur les réseaux sociaux, en prenant toutefois la peine d'en engraisser la légende, aurait plutôt dû avoir pour objet ma dernière journée de voyage. Rendons-lui justice, à elle qui a su couronner une escapade comme il fait bon s'en accorder à l'occasion.
Je sors en catastrophe de l'hôtel. Ma nuit revenait à un peu moins de quatre mille yens, mais l'aubergiste se mérite un pourboire de deux cents yens environ, trop pressé que je suis à attendre qu'il m'apporte la monnaie. Même en vacances, j'ai tendance d'une part à sousestimer le rythme d'écoulement du temps, et d'autre part à surestimer ma productivité dans l'accomplissement des tâches.
J'accours vers la gare, sachant très bien que m'attend ainsi une surchauffe corporelle une fois installé, haletant, dans le train. Je finis par prendre place quatre ou trois minutes avant le départ, une marge heureusement plus importance que mes appréhensions.
J'ai en main un billet qui doit m'apporter à la gare Kanayama, à moins d'une trentaine de minutes au sud, dernier point de contact entre la ligne Nemuro, qui ensuite diverge vers le nord-est, s'éloignant ainsi de l'aéroport Shin-Chitosé, et la route nationale 237.
Eau courante en sus
Déposé à cette gare, je commence par me brosser les dents, tant pressé par le temps que je n'ai pu le faire à l'hôtel. C'est en constatant qu'il n'y a pas d'eau courante pour me rincer la bouche que je comprends dans quel trou perdu je suis tombé. Les seules personnes que j'y vois sont trois employés des chemins de fer, qui s'en vont déblayer un quelconque tronçon peu après mon arrivée. En les observant s'éloigner, je ne peux m'empêcher de penser à Blanche-Neige et les sept nains. Lequel d'entre eux est Grincheux?
Je me dirige vers l'emplacement d'autostop prévu, tout près. Je remarque pour la première fois le silence qui règne. Les véhicules, il n'y en a pas. Je gravis le banc de neige s'érigeant au coin de la route nationale et du petit chemin menant à la gare. De l'autre côté de la rue, un homme s'affaire à pelleter, d'abord le toit de sa remise, puis celui de sa maison. Une dame que je devine être sa mère vient l'épauler peu de temps après.
Mère et fils, ennemis de la neige
Je sens qu'ils m'observent, intrigués par l'énergumène juché en bord de route tenant de ses mains gantées un bout de carton. Au bout d'un moment, on se me met à discuter, et j'en profite pour leur clarifier ma raison d'être dans leur patelin. Je pousse ensuite l'audace jusqu'à demander au fils de me prendre un photo, ce qu'il ne fait pas très bien. J'ai beau leur offrir de l'aide dans le pelletage, ils m'assurent qu'ils pourront s'en charger fin seuls.
Si j'ai le temps de jaser et me faire photographier, c'est qu'elle est désertée, cette nationale. Un véhicule passe aux trois minutes à peine, et le plus souvent il s'agit de camionneurs, qui n'ont pas tendance à donner des coups de pouce aux pouceux.
Je me rends aussi compte qu'il fait plus froid que les autres jours, ou du moins telle est mon impression. Bien vite je ne sens plus mes pieds. Les mains aussi s'engourdissent, mais pas autant car entre chaque véhicule j'insère ma pancarte dans une poche de manteau et me réchauffe les doigts.
Après quarante-cinq minutes, je doute. Il est environ onze heures, ce qui me laisse une bonne marge avant mon vol de dix-huit heures trente, mais j'imagine des scénarios d'hypothermie et de vol manqué, rien de très sérieux mais assez pour m'occuper l'esprit.
Je me mets à la recherche d'autres options de transport. La plus simple consiste à monter à bord du prochain train vers le sud, quarante-cinq minutes plus tard, et de transférer à deux reprises pour arriver à l'aéroport vers quinze heures, au coût de 7000 yens, soit presque autant que j'ai dépensé en transport dans les quatre journées précédentes de mon voyage.
Je décide donc de poursuivre l'autostop, quitte à monter à bord du prochain train. Dix minutes plus tard, mon sauveur au bolide rouge me klaxonne qu'il vient d'arrêter. Je vais à sa rencontre à toute vitesse. Un vol vers Nagoya l'attend en milieu d'après-midi. Il m'invite à monter à bord. Essoufflé et les pieds gelés, je lui souris. Sur le pouce comme dans la vie, il suffit parfois d'une personne pour que tourne le vent.