Je me trouve dans la pièce commune de la maison où loge le groupe de bénévoles que j'ai rejoint à Ishinomaki, dénommé
It's not just mud. La pièce est vide, depuis presqu'une heure. Les autres se sont retirés dans leurs quartiers. Cette réalité contraste avec ce qui prévalait hier, alors que nous étions une bonne douzaine.
Coupez! Coupez! Ce n'est pas bon comme introduction de texte. Il faut plus de mordant, plus d'émotions!
Lundi matin, neuf heures trente. Devant la gare d'Ishinomaki, un homme attend qu'on vienne le cueillir. Les badauds se succèdent, mais personne qui ressemble à un bénévole venu accueillir un confrère, fraîchement arrivé après une nuit mal dormie dans l'autocar de nuit.
L'homme en question, votre narrateur, a plus tôt aperçu un écriteau sur la façade de la gare, indiquant les caractéristiques du séisme du onze mars, en plus de comporter une ligne, à environ un mètre de hauteur, indiquant le niveau maximal atteint par le tsunami à cet endroit. L'océan se trouve à quelques kilomètres.
Mais que peut bien faire mon contact?, l'homme à la barbe de trois jours se demande impatiemment, en jetant une énième fois un coup d'œil agacé à sa montre.
Coupez! Coupez! C'est quoi cette surdramatisation? Le narrateur n'était nullement pressé. Il est venu donner de son temps, pas courir après! Et pourquoi encore relater le tout à la troisième personne? C'est quoi cette manie?
Je dois avouer ici que je ne sais pas trop comment m'y prendre pour décrire mon deuxième séjour de volontariat, d'où le présent récit tarabiscoté.
Simplement écrit, nous nous affairons à rendre habitables les domiciles endommagés, sans pour autant être détruits, par le tsunami. Cela implique d'arracher les cloisons sèches, la mousse isolante des murs et les plafonds, d'enlever les broches, vis et clous qui les tenaient en place, et au besoin de démonter le plancher pour retirer la boue sous-jacente.
C'est peut-être pour ça que j'éprouve de la difficulté à bien décrire mon expérience : à la base, le bénévolat comme je le fais présentement n'a rien de glorieux. C'est plutôt banal, même.
Mes collègues, en revanche, sont sans exception agréables à côtoyer et l'atmosphère qui règne en est une de camaraderie. Chacun a son histoire à raconter. Il y a notamment Yannick, de France, qui depuis quatre mois fait sa part, énorme; Andrew, le néo-zélandais homme au foyer venu retaper le foyer d'autrui; Horiba-san, venu tout d'abord en aide à titre de membre des Forces japonaises d'autodéfense qui, une fois redevenu civil, a décidé de poursuivre son œuvre; ou encore Anna, une Américaine née et élevée au Japon, revenue après plus de trente ans aux États-Unis, et sur le point d'amorcer l'administration d'un orphelinat local.
Les habitants de l'endroit, aussi, ont leur histoire à raconter. Qu'il s'agisse de cette homme de soixante-quinze ans qui se réjouit à l'idée de bientôt pouvoir rouvrir sa boutique de saké, fondée il y a quatre-vingt ans par son père; de ces dames âgées débordant de gratitude car nous les avions aidées à déménager; ou du propriétaire du salon de barbier dans lequel nous travaillons depuis deux jours, qui se fait un point d'honneur de nous apporter jus de fruits et collations et ce faisant de nous remercier à profusion; tous vivent avec l'espoir de jours meilleurs.
Ainsi, le bénévolat, glorieux ou non, c'est fondamentalement des humains qui, entre eux, s'entraident. C'est ça qui compte après tout, nonobstant les textes sinueux, dont le présent, à la fin duquel vous arrivez maintenant.