Vous entrez dans un bar. Vous avez soif, vous êtes paumé, et vos tendances cleptomanes vous démangent. Vous faites un tour d'horizon de l'endroit, à la recherche de promesses enivrantes à dérober.Au Japon, un phénomène semblable à celui décrit dans cette parabole se produit en temps pluvieux. Il est en effet d'usage de laisser son parapluie dans des égouttoirs disposés à l'entrée des restaurants, dépanneurs, bars et autres établissements. C'est alors que la horde des détrempés se transforme en voleurs de grand chemin. Ces mécréants ne volent pas les parapluies de qualité aux motifs qui se distinguent, mais plutôt les modèles les plus abordables. Standardisés, à la toile blanche ou transparente, leur vol n'est que formalité, et une fois entre vos mains, et bien il vous appartient.
Vous apercevez tout d'abord des cocktails peu surveillées. Trop spécifique, que vous vous dites, et puis le risque de tomber sur une concoction douteuse est trop élevé.
Vos yeux se portent ensuite sur une bouteille de bière importée fraîchement débouchée, probablement laissée là par un gars parti pisser. Excellente sélection, vous pensez, mais trop exclusive. Une fois la vessie soulagée, le bougre n'aura aucun mal à me retrouver.
Fait irruption dans votre champ de vision la victime idéale : un verre de bière pression presque plein, dans un coin pratiquement désert. Prise parfaite parce que, à moins d'être pris sur le fait, son caractère anonyme vous décharge du fardeau de la preuve. Comme un billet de banque, une fois en votre possession, personne ne peut prouver que cette bière pareille à toutes les autres ne vous appartient pas.
Vous salivez en attendant quelques minutes l'arrivée de l'hypothétique propriétaire de la boisson, puis vous vous dirigez vers le Saint-Graal d'un pas décidé. Vous l'empoignez et vous vous éloignez de la scène de crime, la démarche tout aussi assurée. Personne ne réagissant au larcin, vous portez la coupe à vos lèvres et savourez le nectar de la victoire.
L'honnête citoyen, victime de la combine, en vient à la conclusion que lui aussi se doit de faire de même. Ainsi, dans ce pays où la plupart des vols brillent par leur presque absence, le parapluie fait figure d'exception. Que faire d'autre, sinon d'acheter un parapluie qui se distingue, où une bière importée rarement commandée?
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