Dans la toilette d'handicapés qui me sert de chambre, du bruit me parvenant des toilettes régulières me tire du sommeil vers cinq heures trente. Le personnel serait-il en train d'effectuer le nettoyage, si tôt? Je reste dans mon sac de couchage à tendre l'oreille, à attendre qu'on vienne cogner à la porte, pour me sommer de sortir. On ne viendra jamais. Ce n'est que plus tard en matinée que j'en déduis qu'il s'agissait probablement d'henros qui en profitaient pour s'y rafraîchir, le parc Saga se trouvant en plein sur l'itinéraire du pèlerinage de Shikoku. Ma progression des derniers jours étant à rebours de ce parcours, depuis diverses voitures j'ai bien dû en voir deux douzaines, de ces pèlerins.
De ma spacieuse salle de bains avec chambre, mes oreilles avaient cru percevoir une chaussée mouillée, au passage des véhicules sur la route nationale. L'impression s'avère au moment d'ouvrir la porte. Une fine bruine teinte le paysage de mer. J'escomptais aller me balader d'une pierre à l'autre sur la rive. Je me restreins plutôt à m'immerger de la vue au moment du déjeuner, rehaussé d'un café en canette.
Située à peut-être quarante kilomètres au nord-est, la ville de Susaki me semble une cible à l'atteinte réalisable dans le courant de l'avant-midi. Je vais me poster sur le bord de la nationale, flanqué d'une feuille qui en indique les caractères (須崎), insérée dans une pochette de plastique. Destination aussitôt déployée, effort aussitôt récompensé. Monsieur Nishiuchi n'aurait pu me prendre s'il était passé une minute plus tôt, car je n'y étais pas encore.
Il me dépose à une halte routière à mi-chemin. Je prends le temps d'acheter quelques souvenirs, en plus de petites tomates en sac, que je dévore sur place, question d'éviter le rougissement de mes affaires par pression indue.
Depuis ce nouveau point d'autostop, monsieur Sakiyama se matérialise en mettant un peu plus de temps que son prédécesseur. J'ai la chance entretemps de savouver une conversation avec un henro, portée notamment sur l'étanchéité relative de mon sac à dos et de mes bottes. N'ayant aucune leçon à donner à quelqu'un qui entreprend de visiter, à pieds, 88 temples sur 1200 kilomètres, j'écoute attentivement ses conseils puis lui souhaite bonne fin de journée, car malgré qu'il n'est pas encore onze heures, sa journée de marche, amorcée à quatre heures, tire déjà à sa fin.
Monsieur Sakiyama, donc, me prend et convient de m'apporter jusqu'à Susaki. Sa ville de résidence étant en chemin, il m'offre au passage de me montrer un onsen réputé, dont la vue en hauteur en vaudrait la peine.
Il m'y prend en photo, et lorsque je lui demande s'il peut me prendre tout en photo plutôt qu'à partir des genoux, il offre de tout d'abord reculer son petit camion qui bloquerait une partie de la vue. L'autoprotrait croqué alors qu'il s'exécute finira par me plaire davantage que celles de son cru.
Monsieur Sakiyama me dépose à la grande halte routière de Susaki (le saki de ces deux noms propres correspond d'ailleurs au même kanji, 崎). Je dîne au resto du deuxième étage, et prends quelques heures pour rédiger mon entrée de blogue. À la table d'où concentré je tape le récit de la journée précédente, deux pèlerins prennent place. Je sens que je les intrigue car ils me jettent des regards obliques, mais absorbé par la tâche à finir, je les laisse briser la glace. Lorsque finalement l'un deux lance la première salve, je prends le temps de discuter, et je leur consacre toute mon attention. L'achèvement d'une entrée de blogue peut toujours attendre, une conversation avec deux personnes qui ont entrepris pareil défi est unique.
Vient l'annonce de leur départ, accompagnée de la demande de portrait. De rouge vêtus, nous demandons à un homme pressé de prendre l'autobus de nous immortaliser.
Même le cône veut se joindre à notre équipe
Je suis prêt à partir. Je décide d'aller vers le centre de l'île, en montagne, car déjà je vois poindre la fin du voyage. Une approche de Takamatsu, ville au nord-est de Shikoku, est de mise, pour faciliter un retour à Tokyo dans le pire ou le mieux des cas en bus de nuit vendredi soir, pire car l'arrivée samedi très tôt serait suivie par le retour au boulot, samedi tôt, mieux, car ainsi je maximiserais la durée de mon voyage.
La bruine, qui a cessé un temps, revient en force, cette fois sous forme de pluie. Le chapeau par-dessus le capuchon, je me précipite jusqu'à la gare juste à temps pour prendre le train de 15h34, qui me dépose une heure plus tard à Ino, d'où deux routes nationales, la première vers le nord, la seconde vers l'est, me permettront sucessivement d'atteindre Tosa, pratiquement au milieu de l'île.
Haltons-nous pour la nuit
Un surfeur revenu d'une journée à défier les vagues des plages pluvieuses du sud me mène jusqu'à la halte routière Musasa, au croisement de la première et de la seconde, car lui poursuit son chemin vers le nord.
Il se fait tard, l'endroit semble tranquille, je décide d'y faire mon nid. La nuit a tôt fait de s'installer, les environs brumeux se voilent de mystère, et ainsi se complète une autre journée pour le non-pèlerin dont l'itinéraire se détermine au fur et à mesure.
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