Monsieur Pitre, je suis journaliste au Nouvelliste et je suis en train de préparer un article en vue du premier anniversaire de Fukushima
Cet événement vous a-t-il donné envie de revenir au Canada? Sinon, pourquoi êtes-vous resté au Japon?
Je mentirais si je prétendais ne pas avoir eu peur, n’avoir jamais eu de doute quant à l’avenir de ma vie au Japon. Dans les premiers jours de la crise, au beau milieu des perpétuelles répliques du séisme (la plupart plus fortes que ce que la majorité des Mauriciens ont pu ressentir dans leur vie), et surtout après les explosions d’hydrogène qu’on disait sans danger à Fukushima Daiichi, j’étais sur le qui-vive, confus, parfois effrayé, les denrées essentielles de plus en plus rares dans les supermarchés n’aidant pas.
Le mardi 15 mars, le séisme s’étant produit le vendredi précédent, j’ai décidé de m’évacuer de Tokyo, pour aller à Hiroshima, à 800 km à l’ouest, afin d'y rejoindre un ami. Ne m’a pas échappé l’ironie d’aller à Hiroshima pour m’éloigner d’une crise nucléaire! Après des vacances, prévues avant le séisme, à Okinawa et Ishigaki, îles à l’extrême sud du pays, je suis revenu à Tokyo au début avril, où je continue à vivre depuis.
En décidant de rester, j’estimais que les risques inhérents aux problèmes à la centrale de Fukushima, qui se situe tout de même à plus de deux cents kilomètres de Tokyo, ne justifiaient pas de faire une croix sur mes projets nippons. À l’aube du premier anniversaire de Fukushima, je ne regrette pas cette décision.
Que faites-vous au Japon (travail)?
J’y apprends le japonais, j’enseigne le français et l’anglais, et je suis traducteur, ce qui était mon métier avant ma venue. Je suis également auteur à mes heures.
De quelle municipalité en Mauricie êtes-vous originaire?
Je suis né à Shawinigan, mais mes parents et amis habitent Trois-Rivières. Autant me dire Trifluvien.
Est-ce que vous avez été obligé de changer certaines habitudes depuis l'événement? (ex.: vérifier la provenance des aliments, éviter de manger du poisson, éviter de circuler à certains endroits au Japon)
Je n’ai rien modifié à mes habitudes, si ce n’est que, pour la première fois de ma vie, j’ai fait du bénévolat, dans la ville d’Ishinomaki, l’une des plus dévastées par le tsunami. Je n’y ai consacré que quelques jours, mais des centaines de bénévoles beaucoup plus dévoués que moi, Japonais comme étrangers, certains y œuvrant des mois durant, y font toute la différence, en aidant les survivants à rebâtir leur vie, à trouver la force de faire leur deuil d’êtres chers et de se tourner vers l’avenir. Il s’agit là d’une grande leçon d’humilité, et j’espère pouvoir y retourner sous peu.
Vous sentiez-vous bien informé de la situation lors des événements?
Je m’informais presque exclusivement auprès de la BBC, et je crois qu’elle faisait du bon boulot.
Il régnait une grande confusion dans les premières heures et premiers jours de la crise. Je crois que non seulement autant les autorités que les dirigeants de TEPCO, la société exploitant notamment les centrales Fukushima Daiichi et Daini, voulaient éviter de semer la panique chez les Tokyoïtes (imaginez devoir évacuer une agglomération aussi peuplée que le Canada tout entier), mais qu'eux-mêmes ignoraient également ce qui se passait réellement.
Ni TEPCO ni les autorités n’étaient préparées à la possibilité qu’une centrale nucléaire puisse être frappée d'un doublé séisme-tsunami, bien qu’elles eussent dû l’être, la centrale ayant été construite en bord de mer dans l’une des régions les plus actives au monde sur le plan sismique. Elles n’ont donc eu choix que d’improviser dans les premiers temps, progressant à tâtons dans le brouillard d’une situation allant dans une direction inconnue. Le pompage d’eau de mer directement dans l’enceinte des réacteurs ne faisait sûrement pas partie des procédures établies d’exploitation d’une centrale nucléaire!
Est-ce qu'on parle encore de l'affaire Fukushima, un an après?
Les gens n’en parlent pas souvent entre eux, bien que les médias traitent assez régulièrement de divers aspects de cette réalité, notamment des questions de radiation, le sort des milliers de travailleurs affectés au nettoyage de Daiichi, la viabilité de TEPCO compte tenu des frais énormes ainsi engagés, l’avenir des résidents évacués de la zone d’exclusion. Le gouvernement a estimé que la mise hors service complète de Fukushima Daiichi pourrait prendre jusqu’à une quarantaine d’années. Tout indique qu’on en entendra parler longtemps encore!
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